L'éclatement des bulles entraîne une contraction du crédit, la liquidation forcée des actifs, la déflation, et une destruction des richesses qui peut prendre des proportions catastrophiques. Dans un contexte déflationniste, le poids de la dette accumulée peut causer un effondrement du système bancaire et une dépression économique. Cette situation doit être évitée à tout prix. Une manière de procéder serait de créer de l'argent frais pour stopper la contraction du crédit, de recapitaliser le système bancaire, et de passer aux pertes et profits ou amortir la dette accumulée de manière méthodique. Pour obtenir les meilleurs résultats, ces trois processus devraient être coordonnés - au moyen de mesures politiques radicales et peu orthodoxes. Si ces mesures suffisent et que le flux du crédit reprend, les pressions déflationnistes seront remplacées par le spectre de l'inflation, et les autorités devront rapatrier les liquidités excédentaires aussi vite qu'elles les ont injectées dans le système financier international. Cette seconde opération sera sans doute plus difficile que la première, tant au plan technique que politique, mais l'alternative - une dépression et des troubles mondiaux - est inacceptable. Il n'y a aucun moyen d'échapper à une situation très éloignée de l'équilibre - une déflation et une dépression mondiales - sauf en provoquant d'abord son contraire, pour ensuite le corriger. L'injection de liquidités dans l'économie américaine rencontrera des difficultés sur deux fronts : les taux de change et les taux d'intérêt. Le dollar a subi des pressions dans les premiers temps de la crise financière actuelle, mais s'est fermement rétabli alors que la crise s'aggravait. L'appréciation du dollar à la fin 2008 n'était pas due à une demande accrue pour le billet vert, mais à la difficulté croissante d'emprunter en dollars. Les banques européennes et d'autres banques internationales avaient acquis de nombreux actifs libellés en dollars qu'elles finançaient en général sur le marché interbancaire ; lorsque le marché s'est asséché, elles ont été obligées d'acheter des dollars. En même temps, d'autres pays détenaient un nombre important d'obligations en dollars qu'ils ont dû acquitter quand ils ne pouvaient pas proroger leur échéance. Cette tendance a été temporairement inversée à la toute fin 2008 lorsque la Réserve fédérale américaine a abaissé son taux directeur à un niveau proche de zéro et s'est orientée vers une politique de détente du crédit par l'octroi de subventions au secteur bancaire. L'euro s'est alors fortement apprécié, mais pour une courte période seulement en raison des problèmes internes de la zone euro. Les émeutes en Grèce ont attiré l'attention sur les difficultés des pays du Sud l'Espagne, l'Italie et la Grèce - et de l'Irlande. Le montant de la prime des CDS (credit default swaps) de ces pays s'est élevé, tandis que leur notation de crédit a été abaissée et que la marge actuarielle de leurs obligations d'Etat par rapport à l'obligation d'Etat allemande s'est élargie de manière inquiétante. L'euro a plongé dès le début 2009 et a même été dépassé par la livre sterling. L'Allemagne et la Banque centrale européenne (BCE) ont un point du vue différent du reste du monde sur le problème auquel l'économie mondiale est confrontée. La BCE fonctionne avec des lignes directrices asymétriques : son mandat la contraint à se préoccuper uniquement de la stabilité des prix, et pas du plein emploi. L'Allemagne est elle encore hantée par le souvenir de la République de Weimar et son inflation galopante - le prélude au régime nazi. Ces deux positions militent contre l'irresponsabilité fiscale et le recours illimité à la planche à billets. Cette tendance devrait favoriser l'euro comme monnaie de réserve, mais les tensions internes en Europe jouent dans le sens contraire. Il n'existe pas de mécanisme de protection du système bancaire pour toute l'Europe, et le fait que chaque pays doit agir unilatéralement met en doute les capacités de chaque pays à agir dans le bon sens. Le crédit de l'Irlande est-il suffisant ? La BCE peut-elle accepter la dette de la Grèce comme nantissement au-delà d'une certaine limite ? Les fondations du traité de Maastricht sont ébranlées - sans même parler des difficultés que rencontrent le Royaume Uni et la Suisse pour protéger leurs propres banques surdimensionnées. En tentant de préserver leurs banques nationales, les autorités de réglementation pourront faire du tort aux systèmes bancaires d'autres pays. En fin de compte, les différents gouvernements devront se protéger mutuellement, mais ils ne le feront que face à un danger commun. Les détenteurs de richesses se tourneront de plus en plus vers le yen et l'or comme valeurs refuges, mais ils risquent de se heurter à de fortes résistances de la part des autorités, plus rapidement dans le cas du yen que de l'or. Et il faut s'attendre à une épreuve de force entre ceux qui souhaitent investir dans des valeurs refuges et ceux qui doivent utiliser leurs réserves pour sauver leurs entreprises. Toutes ces forces contradictoires à l'œuvre entraîneront sans doute de furieuses fluctuations des devises. Dès que l'activité économique reprendra aux Etats-Unis, les taux d'intérêt des obligations du Trésor devraient remonter en flèche ; en fait, il est probable que la courbe de la marge actuarielle grimpe par anticipation. Quoiqu'il en soit, une hausse des taux d'intérêt à long terme risque d'étouffer la reprise. La probabilité que la forte augmentation de liquidités provoque une inflation entraînera probablement une période de stagflation. Ceci serait toutefois une évolution bienvenue parce qu'elle permettrait d'éviter une dépression prolongée. Il est difficile, mais pas impossible, d'envisager une croissance de 3 pour cent ou plus de l'économie américaine au cours de la prochaine décennie. Les Etats-Unis ont un déficit chronique de leur compte courant, qui a dépassé le 6 pour cent de leur PIB à son pic. Ce déficit devrait se réduire, pour être remplacé par une dette extérieure importante, aggravée plus encore par les déficits budgétaires des prochaines années. La consommation, comme partie du PIB, devra chuter. Le secteur des services financiers, qui a été le segment à plus forte croissance de l'économie, se contractera. Avec les départs en retraite toujours plus nombreux des « baby-boomers », la courbe démographique devient défavorable. Tous ces points sont des influences négatives. À quoi faut-il s'attendre de positif ? Une distribution plus équitable des richesses, tant aux Etats-Unis que dans le reste du monde. De meilleurs services sociaux, y compris une meilleure éducation. Une politique énergétique constructive entraînant des investissements à grande échelle dans les énergies alternatives et les économies d'énergie. Une baisse des dépenses militaires. Une plus forte croissance dans les pays en développement offrant des occasions d'investissement et des marchés à l'exportation plus intéressants. Mais même avec la meilleure politique du monde, il est probable que la croissance américaine reste à la traîne de l'économie mondiale. Traduit de l'anglais par Julia Gallin ------------------------------------------------------------------------ * Préside le Soros Fund Management