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Polémique Ouyahia et l'après-Bouteflika
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 07 - 03 - 2009

En fin de compte, l'opposition au régime algérien a-t-elle tort de boycotter et ne pas vouloir cautionner les élections du 9 avril ? Cette question exige d'être disséquée sous tous les angles. D'une part, nous n'avons pas affaire à des enfants de chœur, loin de là. Et d'autre part, notre Premier ministre a eu tort de sortir (1) de ses obligations de réserve et venir la sermonner.
M. Bouteflika sera réélu haut la main ! - pour son 3ème mandat. Est-il cependant évident qu'il viserait d'ores et déjà un 4ème ? Les supputations à ce sujet ne sont pas que des contes pour enfants. Selon la réponse que l'on donnera, l'éclairage des événements politiques actuels prendra une coloration particulière et un sens assez surprenant. L'opposition semble parier sur un «non». Et Ouyahia ou ce qu'il représente : les tenants du régime ? Les autres chefs (apparents) des partis de l'Alliance présidentielle, que pensent-ils ? Ainsi que leurs clientèles politiques ? Et, bien sûr, leurs vrais patrons (les Régents du pouvoir) qu'ont-ils prévu ? L'unanimité (autour de M. Bouteflika) des «établis» pour son actuelle élection au trône ne serait-elle que de façade ? Et, sans vouloir s'ériger en juge - serait-elle suspecte ?
Il n'est pas raisonnable de croire que les «ennemis» d'hier deviennent «bayna leilattine wa douha'ha» des amis le lendemain. Tout autant, aux yeux de l'opposition, il n'est pas souhaitable qu'à 77 ans le Chef de l'Etat vienne briguer en 2014 un nouveau mandat (comme le font les autres Chefs arabes), autant il est archi-certain que ses «amis» aimerait le voir «rentrer chez lui» au plus tôt.
Les uns et les autres savent pertinemment que l'ensemble des problèmes sociaux, économiques, politiques et culturels qui se sont accumulés de longue date et s'accumulent encore aujourd'hui doivent commencer à être solutionnés. Et ce n'est pas en leur tournant le dos en appuyant - avec insouciance - sur la gâchette de la dépense publique (gonflée par la «bulle pétrodollar») que l'Algérie avancera. Ces problèmes vont tôt ou tard éclater à la figure des gouvernants. Il n'est pas certain que les Algériennes et les Algériens ne demanderont pas des comptes - comme ils l'ont fait avec Chadli et ses prédécesseurs pour des raisons de guerre civile et des plaies et traumas qu'elle a causés.
Dans les faits, tant l'opposition que les tenants des rênes du pouvoir mènent non pas un round - l'élection présidentielle - mais un combat de longue haleine. Il est évident que ni le FFS, ni le RCD, ni les autres n'auraient appelé au boycott si M Bouteflika avait ouvert le champ médiatique (avec des télévisions libres), l'expression pluraliste (avec des mouvements sociaux ou syndicalistes moins réprimés), l'exercice des libertés (avec des «services» moins coriaces) ou la protection des droits individuels (avec des magistrats moins réactionnaires).
La réalité est : depuis la douche froide de M.Benflis, le pouvoir en place a tout fait, pour verrouiller toute expression dissonante - y compris à l'intérieur de ses propres rangs !
Le chantier de la rénovation (ou refondation) de la scène politique est la tâche lourde qui attend M.Bouteflika dans ce 3ème mandat - s'il veut vraiment entrer dans l'Histoire. Quoiqu'il réalise avec de la dépense publique (car cet argent est l'argent de tous les Algériens), il n'aura été pour l'opinion nationale et internationale que celui qui aurait permis à la bourgeoisie d'affaires d'asseoir ses assises économiques. Une bourgeoisie historiquement sans grande envergure : elle a toujours préféré (à l'instar de la bourgeoisie argentine qu'on oppose à celle brésilienne, qui, elle investit dans le pays) expatrier capitaux, femmes et enfants.
De ce point de vue, tout comme en Argentine pour l'après-Peron, l'avenir de l'Algérie sera jonché de règlements de compte à propos des détournements de la violence légitime de l'Etat à des fins privatifs (coups d'Etat, assassinats, expropriations et forfaitures), à propos de la gestion de l'Etat, à propos des affaires d'Etat, etc. Tout cela, l'opposition extraparlementaire (islamiste ou démocrate) l'attend.
La dernière révision constitutionnelle a flingué le poste de Chef du gouvernement - cet autre grand acquis de la Constitution de 89 délimitant les périmètres de compétence dans un régime présidentiel où le Chef de l'Etat se soustrait au contrôle des parlementaires (députés et sénateurs réunis) ; à l'inverse de ce qui se passe aux Etats-Unis - pour revenir au pantin de Premier ministre (responsable de rien, comme l'a appris à ses dépends Chadli). Tout le monde encaisse le coup. Sans faillir. Comme si, en politique, l'on roulait pour les autres ! L'opposition a, de ce fait, cent fois raison quand elle stigmatise le «système» comme un «régime de larbins».
Son observation détaillée des nominations, démissions, mises en quarantaine, etc. des élus et des cadres de l'Etat ne laisse à l'opposition aucun doute à ce sujet. Et, la généralisation à tous les échelons de la médiocrité - et sa soeur jumelle : la corruption- se conjugue, selon elle, avec l'immobilisme. Ainsi on lui donne l'impression que »rien ne se fait en Algérie sans impulsion d'El Mouradia !» Ce «larbinage» consensuel, fruit du capitalisme de copinage - instauré par M. Boumédiène en 1966-68 lors des nationalisations du système bancaire et du commerce extérieur (car, chez nous, ces derniers sont liés) - serait ce dont il faut débarrasser le champ du politique. Pour cela, l'on doit arrêter
1-d'abord, d'effacer les ardoises des uns et des autres (entreprises publiques, agriculteurs),
2-ensuite, de promettre de donner d'une main (bonifications d'intérêt) ce qu'on enlève (surcoût salarial, suite à l'augmentation du salaire minimum)
3-et enfin, d'oublier d'honorer ses promesses en termes de libertés (civiques et politiques), comme on l'avait fait dans les précédentes campagnes électorales !
Dans l'opposition ou dans la majorité, nos hommes politiques apparaissent comme inconsistants. Non seulement ils reviennent sur leurs engagements : bâtir une société démocratique par la mobilisation effective des citoyens. Mais, de plus, tous ne se sentent ni de près, ni de loin - ni individuellement ni collectivement - responsables de ce qui se fait dans notre pays ou ce qui est dans le pays. C'est ainsi toujours la même rengaine «ce n'est pas moi, c'est l'autre». Même quand cela relève de leur champ de compétence direct, l'on nous renverra : les uns, à la clôture du «système» ; les autres, aux «dysfonctionnements», aux «ratés», aux «absurdités» de la réglementation(2).
Ainsi s'il est vrai que le «régime» s'appuie sur des médiocres (qu'il installe). Dont il attend une servilité sans faille. En échange de «dessaisissement» dans les prérogatives de contrôle (3). Ceci existe aussi dans d'autres pays. Mais, «là-bas», ce dessaisissement des décideurs publics se conjugue avec le transfert du contrôle aux parlementaires (à l'Assemblée, au Sénat, au Congrès). Chez nous, ce dessaisissement vaut désistement (d'où l'affaire Khelifa et les autres scandales de détournements que la presse relate à longueur de journée). Il est un indice de la déliquescence de l'Etat.
Car son effet direct est que le citoyen se trouve face à la jungle de l'arbitraire et du bon vouloir de l'Administration. Jungle car l'on ne prévoit aucune médiation modératrice, aucune voie de recours ou de réparation aux préjudices causés pour «mauvaise exécution» des procédures (ou autres actes de loi en faveur des acteurs sociaux), et ce, malgré les plaintes répétées des uns et des autres et notamment des investisseurs, des prometteurs. Comme l'on ne prévoit aucune sanction envers les magistrats pour leur «tafsir sayi'» (pour reprendre l'expression consacrée par la Cour Suprême), où des jugements sont prononcés, brisant le destin de tant de gens
Dire cela n'est pas malveillance - de la part d'un «ennemi». Car, dans les faits, nous payons, belle et bien, en sonnants et trébuchants «nos fonctionnaires» pour ne pas se faire retirer un permis de conduire, pour avoir un acte de naissance «original», ou une hypothèque ou..., ou..., ou... ! L'arrogance outrancière dans laquelle se drapent certains de nos ministres - par rapport à nous, par rapport à la société - est purement et simplement scandaleuse. C'est qu'ils feignent d'oublier en tenant un discours d'une extrême insolence face à l'opposition (parlementaire ou extraparlementaire).
Justement notre tout nouveau Premier ministre, grand donneur de leçons devant l'Eternel, vient de faire une «sortie», l'on ne peut plus surprenante. Non seulement il est sorti de ses obligations de réserve - en tant que représentant de l'Administration, censée être neutre dans les élections présidentielles dont, par ailleurs, la campagne ne s'ouvrira que le 19 mars (à ce moment : il pourra parler en tant que chef du RND)- mais, de surcroît, il s'auto-attribue un satisfecit.
Il affirme en effet que : «la réalisation de 825.000 logements au 31 décembre 2008, un chiffre qui atteindra 950.000 à la fin du mois en cours»(4). Si, donc, nous avons compris : il y aura 125 000 logements de plus en un seul trimestre (janvier, février, mars 2009) ! Par quel miracle ? Personne ne le sait. Là où, à notre sens, il vraiment manqué de prudence, c'est d'ajouter : «le pays n'a pas construit autant de logements même quand le baril de pétrole était côté à 44 dollars, soit l'équivalent aujourd'hui de plus de 150 dollars» (idem).
Or, comme le montre le graphique suivant, le baril n'a jamais atteint la barre de 44 dollars avant que M.Ouyahia n'ait accédé au pouvoir: (fig.1)
Par conséquent, si effectivement le pétrole était à 44 dollars pendant que M.Ouyahia avait la charge de l'Exécutif, la question qui nous vient à l'esprit est : pourquoi il n'a pas à ces temps-là construit autant de logements qu'aujourd'hui ?
L'autre hic de cette «sortie» se situe dans la suite de cette déclaration: «soit l'équivalent aujourd'hui de plus de 150 dollars» ! Nous avouons publiquement ne pas en comprendre le sens. Est-ce que cela voudrait dire que les marchés mondiaux des hydrocarbures ont subi une Inflation de 300 % et que l'on peut déflater ? Et, alors les prix du pétrole atteignant le sommet de 147 $/baril n'étaient pas de «prix justes» ? D'autant plus qu'aujourd'hui le pétrole est coté à New York à 40,76 $ et à Londres à 42,81 $ (4).
Le troisième hic est relatif à l'ensemble du propos : «le pays n'a pas construit autant de logements même quand le baril de pétrole était côté à 44 dollars, soit l'équivalent aujourd'hui de plus de 150 dollars». Construit-on des logements avec de l'argent du pétrole ? Quelle relation y a-t-il entre le prix du baril (à 44 $ ou à 150 $, qu'importe !) et le financement de la construction et la promotion immobilière ? Est-ce que ces dernières exigent une facture lourde d'importations de produits pour être réalisées ? A notre connaissance, ce n'est pas le cas. Cela, M.Ouyahia le sait.
Aussi s'il promet un miracle : 125 000 logements en trois mois avec un prix de pétrole à (à peine) 42 $, ce que Monsieur Ouyahia voudrait que nous prenions date et que l'on se souvienne de cela en temps voulu ! Autrement, comment expliquer cet empressement d'entrer en campagne électorale avant les autres ?
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Notes :
(1)- Voir Le Quotidien d'Oran du 03/03/2009, p 2. M.Ouyahia a voulu jouer sur l'étiquette de Chef de parti RND pour venir s'exprimer. Mais la campagne électorale ne s'ouvre - réglementairement parlant - que le 19 Mars
(2)- A titre d'exemple : que le Directeur Général de la Fonction publique fasse la pluie et le beau temps, cela ne gène personne, que l'on soit «décideur» - ministre, secrétaire général du gouvernement ou de la Présidence ! -ou «chaînon intermédiaire» - wali, recteur ou directeur central de ministère. Personne ne bougera le petit doigt par un rappel à l'ordre. Cela (et c'est du vécu) surprendra. Qu'il existe encore en Algérie des pans entiers de la destinée du pays qui relève du simple bon vouloir d'une seule personne.
(3)- À plusieurs reprises, nous avons nommé (ici même : dans les colonnes du Quotidien) cela : Diffraction de la puissance publique
(4)- Voir les cotations respectives à horizon de 10 ans, sur les graphes suivants (fig.2)) :


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