Le débat est ouvert. La réflexion aussi. A quelques mois seulement des élections législatives. Ainsi, la récurrente question soulevée par les démocrates, à savoir faut-il participer à ces élections, revient avec acuité. Mais aussi et surtout, s'interroge-t-on, y a-t-il espoir de tenir des élections libres et transparentes dans l'Algérie d'aujourd'hui ? La réponse, celle partagée par de nombreux militants et observateurs de la scène politique, est, presque évidente, que des élections libres sont impossibles dans les conditions actuelles que vit le pays. Est-ce vrai ? Pourquoi ? Et que faire ? C'est à ces questions et bien d'autres que des politiciens, des militants des droits de l'homme (LADDH) et des juristes, regroupés dans un séminaire tenu les jeudi et vendredi à la Fondation Friedrich Ebert à Alger, ont tenté de répondre. En toile de fond : « Citoyen, j'ai le droit de choisir librement mes représentants ». Le ton est donné, dès le début, par Me Ali Yahia Abdenour, qui a décortiqué le mode opératoire de la fraude électorale en Algérie. Intitulée de « Naegelen à Bouteflika », son intervention se voulait « un inventaire » d'une fraude massive et généralisée héritée de l'époque coloniale. Il précise : « L'Algérie est sortie du joug colonial sans pour autant faire l'économie du pouvoir militaire. » Ce même pouvoir perpétue toujours, selon lui, la fraude électorale, vieille tradition coloniale. Elle date, indique-t-il, d'avril 1948, lorsque l'administration coloniale, à sa tête le gouverneur général de l'Algérie, le socialiste Edmond Naegelen, a truqué les résultats des élections pour élire les délégués à l'Assemblée algérienne (60 délégués pour 8 millions d'Algériens du 2e collège et 60 délégués pour un million d'Européens du 1er collège), qui donnait pour vainqueur à hauteur de 80% le parti de Messali Hadj. Selon lui, ces pratiques ont survécu à l'indépendance du pays et continuent à être massivement appliquées 60 ans après. « Tous les chefs d'Etat sont sortis des rangs de l'armée, ou choisis par elle. Le système politique, sans respiration démocratique, a trois traits communs : la concentration du pouvoir, l'irrégularité de sa dévolution et l'anomalie de son exercice », soutient-il. Me Ali Yahia revient sur l'arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid en attestant qu'il a été « élu » par l'armée, ensuite par un vote qui n'est qu'une « simple formalité ». Comme il rappelle les conditions dans lesquelles a été désigné le général à la retraite Liamine Zeroual et comment il a été par la suite « promu » par l'armée en 1995. « Le pouvoir a distribué aux élections législatives l'électorat en quotas selon l'équilibre des forces qu'il voulait établir entre les partis. Le RND, né un mois avant le scrutin, a obtenu 156 députés et la majorité des élus aux élections locales (…) », précise-t-il tout en soulignant le fait que le président Bouteflika, « désigné lui aussi par l'armée en 1999 », avait déclaré à la communauté algérienne établie en Amérique qu'il a refusé de rendre public le rapport de l'APN sur la fraude électorale aux élections locales pour sauver la crédibilité du Conseil de la nation. MODE DE DESIGNATION En 2004, l'avocat atteste que la réélection de Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la République était « entachée en amont par de nombreuses irrégularités ». Il rappelle ainsi une déclaration de l'ancien ministre Mouloud Hamrouche, selon laquelle « les mécanismes de fraude sont déjà apparents avant même le coup d'envoi officiel de la campagne électorale (…) La hiérarchie militaire a opté pour le choix de Bouteflika (…) ». La source du pouvoir n'est donc pas le peuple comme le consacre la Constitution, mais l'Armée. De son côté, Kamel Daoud, vice-président de la LADDH, tout en confortant Me Ali Yahia dans son analyse, ajoute qu'en 1999, Boualem Benhamouda, secrétaire général du FLN à cette époque, avait subi des pressions pour déclarer son soutien à Bouteflika. Il affirme dans la foulée que l'élection présidentielle ne sert, en fin de compte, que pour « la légitimation triomphante de la junte aux yeux des Occidentaux ». Il conclut ainsi que depuis l'Indépendance, « il n'a pas été question de laisser les Algériens choisir librement le président de la République ». Autre intervenant, Abdeslam Ali Rachedi, à la tête du parti non agréé Assabil, a, pour sa part, livré un témoignage vivant de la fraude électorale au cours des cinq derniers scrutins. En insistant sur le référendum, il attestera que « souvent, ce qui devait être un moyen d'expression démocratique, tourne à un plébiscite ». Il cite pour exemple le dernier référendum du 29 septembre 2005 sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale. Selon lui, la fraude en tant que « mode d'emploi » s'opère à plusieurs niveaux. « Une fois les résultats connus, on change alors les chiffres pour les rendre compatibles avec les résultats recherchés par les décideurs », note-t-il. Dans le même contexte, Me Mustapha Bouchachi a relevé que les mécanismes et les institutions de contrôle politique et juridique ne disposent d'aucun pouvoir. La loi, par exemple, ne contraint pas le ministère de l'Intérieur en charge des élections de fournir toutes les informations demandées à la « Commission nationale autonome de surveillance des élections ». Devant l'absence de garanties et d'instruments de contrôle des élections, que faire ? Boycotter ? C'est essentiellement sur cette question que Dr Saïd Sadi, président du RCD, a axé son intervention. « La question (de participer ou pas aux élections) n'est pas encore tranchée. Les avis pour et les avis contre se valent. Si vous participez, inévitablement votre présence donne un semblant de crédit et de pression à un processus électoral vicié. Si vous boycottez, c'est toute la catégorie sociale, qui n'adhère pas au régime, qui se trouve de fait exclue au niveau de l'audience », dit-il. Mais au-delà de cette interrogation, Dr Sadi estime que, dans un pays verrouillé et censuré comme l'Algérie, la participation aux élections est l'unique « tribune » offerte aux partis de l'opposition de s'exprimer tant bien que mal librement. « La période de campagne électorale reste le seul moment où les différents courants politiques sont à peu près libres de dire ce qu'ils ont à dire. Et donc, ce sont les seuls vrais sondages que l'Algérie a eu à enregistrer », soutient-il. Ahmed Benbitour, ancien chef de gouvernement, souligne : « Quand bien même il y aurait des élections transparentes, et c'est loin d'être le cas, cela ne mènera pas à la démocratie. » Il s'explique : « La démocratie a besoin d'institutions opérationnelles qui seront les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire ainsi que de médias libres, de partis politiques actifs et d'une société civile. » Or, ce n'est pas le cas à l'heure actuelle. Quelle est la solution ? La LADDH dissèque les expériences électorales de quatre pays, catalogués dans le fichier du Tiers Monde. L'expérience de ces pays a été analysée par A. Khalid, militant au sein de la Ligue pour le cas de la Palestine, Kamel Daoud pour le Congo, Nordine Benissad pour l'Inde et Fayçal Métaoui pour le cas du Yémen. Les analyses des intervenants convergent : la commission électorale indépendante est le standard international permettant de contrôler une élection et garantir sa transparence. Cette commission obéit à des règles spécifiques et clairement définies. C'est le cas en Inde et en Palestine où le gouvernement n'interfère aucunement dans l'organisation des élections, cette tâche étant confiée, dès le début jusqu'à la fin, à la commission indépendante. Des cas à méditer !