Régi par le diktat du silence, le phénomène des mères célibataires et des enfants « nés sous X » prend de l'ampleur. Chaque année, entre 140 et 160 enfants illégitimes sont abandonnés dans les rues où dans les différents services de maternité d'Oran. Hier, le cadavre d'un nouveau-né de sexe féminin a été découvert à l'entrée du cimetière de Aïn El-Beida. Amina, appelons-la ainsi, est une mère célibataire. Agée de 23 ans, étudiante à Oran, elle est originaire d'une autre wilaya. Son histoire dramatique a commencé par une relation avec un homme, avant de se terminer par une grossesse illégitime. Délaissée par un géniteur qui a fui lâchement ses responsabilités, elle s'est retrouvée seule face à une grande responsabilité. Contrainte d'affronter et d'assumer une réalité des plus dures. Elle a décidé ainsi : une fois mis au monde, le bébé a été abandonné. « Quand mon ventre est devenu plus apparent, soit après les six derniers mois de la grossesse, et pour éviter un scandale, je ne me suis plus rentrée chez moi. J'ai accouché début juin 2008 dans une maternité où j'ai laissé mon enfant. Je ne pouvais pas le garder ». Le cas d'Amina n'est pas unique, puisque le ministre de l'Emploi et de la Solidarité nationale a révélé que quelque 3.000 enfants «illégitimes» naissent chaque année en Algérie. Il a également annoncé que la moyenne d'âge des mères célibataires est 18 ans. A Oran, durant les huit derniers mois, plus de 90 enfants ont été abandonnés par leur mère soit dans les maternités, soit dans la rue. En 2008, 47 nouveau-nés ont été découverts dans les rues d'Oran, dont 27 morts. Huit ont été découverts depuis le début cette année. Selon des sociologues, « l'abandon de l'enfant n'est pas une décision facile à prendre dans le cas d'une mère célibataire. Mais dans une grande partie de cas, cette perspective s'impose à la mère, même si au départ elle s'entête à vouloir garder son rejeton. La perspective de l'abandon de l'enfant, douloureuse épreuve pour la mère et frustrante étape pour le bébé, est souvent l'unique échappatoire. En effet, être seule et avoir à sa charge un enfant issu d'une relation clandestine n'est guère une sinécure au sein de notre contexte social, ce qui rend la vie difficile à la mère. Si, dans certains cas, des mères célibataires ont pu regagner la demeure familiale après avoir accouché, leur réinsertion s'est faite au prix de l'abandon du bébé...». Les spécialistes estiment que « le sujet des mères célibataires n'est pas nouveau au sein de notre société, mais son ampleur est dû à la culture du silence qui régit les rapports sociaux ainsi qu'à la défaillance de la communication au niveau de la cellule familiale. Le changement qui s'est opéré au niveau de la société, la libération des moeurs, le manque criant d'éducation sexuelle, sont parmi les autres facteurs qui favorisent la propagation de ce fait social ». Les mères qui abandonnent leur enfant ont trois mois pour revenir sur leur décision. Une foi le délai expiré, l'enfant sera systématiquement placé en milieu familial. Si certaines femmes ont choisi d'abandonner leur enfant, d'autres ont recours aux avortements. Selon l'universitaire-chercheur Mme Fatma Boufenik, qui a animé dernièrement une conférence sur ce phénomène, les préjugés et la pression de la société sont le facteur principal à l'origine du recours à cette pratique. Mme Boufenik a plaidé, dans ce contexte, pour la multiplication des campagnes d'information et de sensibilisation au profit des jeunes, tout en appelant à une franche mobilisation des acteurs sociaux, notamment en matière d'accompagnement médical, psychologique, civique et juridique. A l'appui des statistiques officielles qui font état d'une moyenne de 8.000 avortements chaque année en Algérie, elle a estimé que ces chiffres sont le reflet de la partie visible de ce phénomène social.