De tous les travers dont souffre le Mouvement sportif national, il en est un, peu visible et insidieux, parce dilué dans l'espace et le temps des mémoires défaillantes. C'est une excroissance de la bureaucratie sportive qui pourrait être désignée par un vocable singulier : la cumulocratie ; et ses agents actifs, les cumulocrates. Généralement, la maladie est surtout connue dans le monde de la politique, où le goût insatiable du pouvoir fait courir les politiciens après de multiples postes pour engranger la rente maximale. On veut être maire, député, sénateur, conseiller et que sais-je encore. Mais elle a fini par diffuser un peu partout, puisqu'à la racine, il s'agit d'une maladie infantile du pouvoir. Plus on en a, plus on en veut ! C'est tout comme l'argent et cela y ressemble fortement. Les cumulocrates naissent et croissent au sein de la bureaucratie sportive nationale. Ils se développent à partir de ce socle qui leur offre les moyens de s'introduire dans les instances sportives internationales. Ronds de jambes, paroles sibyllines, caresses dans le sens du poil des dominants en place leur permettent d'investir, tour à tour, les espaces et instances du Maghreb, de l'Afrique, de la Méditerranée, du monde arabe, puis du monde. Peu importe qu'au sein d'un même espace ils investissent plusieurs niches, l'essentiel étant de courir plusieurs lièvres à la fois, pour remporter le jackpot au final, accroître ainsi leur pouvoir et leur notoriété. L'essentiel est que l'on croit en ce que vous n'êtes pas et que l'on finisse par vous attribuer. Généralement, on pense que les cumulocrates sont en service commandé pour les intérêts du pays. Mais en fait, avec le temps, ils finissent par découvrir qu'il vaut mieux se servir de l'Algérie pour mieux se servir, que l'inverse. Les plus roublards auront à coeur de donner le change constamment. Ils laissent toujours croire qu'ils sont au service d'une noble cause à laquelle ils se dévouent corps et âme et que toute la nation devrait leur en être redevable. Passés maîtres dans l'art des coulisses qui n'est rien d'autre que courtisanerie et maquignonnage sportifs, ils se veulent incontournables dans les joutes et litiges internationaux. La réussite de chacune de leur entremise est une prime qui accroît leur notoriété ; les foules asservies et les médias subjugués chantent alors charisme, entregent et expérience infaillibles. C'est ce qui fait leur force dans la course aux sponsors, dont les mangeoires sont généreuses lorsque l'événement et celui qui le porte laissent présager d'appréciables rentrées d'argent. Il n'y pas si longtemps dans notre pays, un margoulin de haut vol, dénommé Khalifa, arrosa tant et plus des cumulocrates conquis aux vertus d'un parrainage peu regardant sur les résultats. Ce que l'on comprend fort aisément lorsque l'on sait que l'argent manipulé provient des caisses de l'Etat, de celles des entreprises et autres syndicats et non des propres poches du parrain peu scrupuleux. En monopolisant les places chaque fois qu'une opportunité se présente à eux, jusque et y compris en éliminant un compatriote déjà en poste pour servir leurs desseins, les cumulocrates finissent par saturer tous les espaces. D'un congrès à une assemblée, d'une session à un séminaire, ils vivent les problèmes du pays entre deux avions. Ils sont peut-être partout mais ils finissent par n'être efficaces nulle part. Le MSN paie ainsi le prix de leur dispersion et de leurs éparpillements. Mais le cumulocrate n'en a cure. Rentier par essence, il est plus intéressé par l'avoir et le paraître que par l'être. Il est inutile de préciser que vus sous cet angle, les cumulocrates sont rétifs à tout changement, lorsqu'ils ne s'y opposent pas carrément. Ne leur parlez pas surtout pas de renouvellement et de rajeunissement. Mais ils seront plus prolixes que vous sur le sujet pour noyer le poisson. Alors dans les faits, leur devise est « H'na imout Kaci » (J'y suis, j'y reste et rien ne pourra m'en déloger). Il y a tant de voyages et d'avantages en jeu qu'ils craignent comme la peste les périodes de renouvellement d'instances et de mandat. Mais ils ont si bien tissé les fils de leur toile qu'ils finissent par être inamovibles, jusqu'au moment où le couperet des limites d'âge instauré par les règlements de certaines instances vient sonner le glas de leur insatiable boulimie, sans qu'ils aient préparé le terrain à qui serait susceptible de les remplacer. Parfois, sentant leur fin prochaine, leurs positions extérieures s'effriter, ils s'essaient alors à un retour aux sources, en tentant de gagner les grâces de hauts dignitaires en poste, pour les aider à reconquérir un siège perdu. Et c'est ainsi que certains retours peuvent être considérés comme de véritables régressions pour le Mouvement sportif national. La cumulocratie est-ce un bien, est-ce un mal ? Il ne peut être répondu à pareille question qu'au regard des exigences démocratiques, à savoir de la mobilisation du maximum de compétences, notamment des jeunes compétences, entrant dans une stratégie nationale, définie minutieusement pour investir les instances sportives régionales, continentales, arabes, méditerranéennes et internationales. Appréciée à l'aune de la démocratie, du rajeunissement de notre représentation à l'étranger, des nécessités dictées par une stratégie rationnelle de politique sportive internationale fondée sur la compétence et l'efficacité, la réponse à cette question ne peut être que négative. La cumulocratie est un mal dont le Mouvement sportif national pourrait bien se passer.