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C'est quoi être «moderne» en 2009
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 28 - 04 - 2009


1ère partie
«Il faut être absolument moderne.» (Rimbaud)
Souvent ces dernières années on parle de modernité, de modernisme voire pour certains de post modernité.
Et comme disait Rimbaud-«il faut être absolument moderne.»
Est-ce un simple effet des temps actuels ou est-ce une problématique réelle?
Vu la complexité de la notion-allons-y step by step.
NB: toute notre base de données est issue principalement de notes personnelles et des bases de données des réseaux Internet.
Commençons par les notions elles-mêmes : moderne et modernité.
Rappelons quand même deux pièges à éviter
- Le plus fréquent : utiliser les mêmes mots alors que leurs significations sont parfois fort différentes
- Le plus « moderne » : utiliser des mots différents alors qu'ils ont la même signification. (Le Word Mismatch des Américains).
Que disent les linguistes sur ces notions?
Que le mot «moderne» vient du latin «modernus» qui veut dire « récent, actuel» lui-même dérivant du grec «modos» qui signifie « d'aujourd'hui».
Donc est moderne ce qui est récent ou actuel et s'oppose à antique, ancien ou encore passé.
Et c'est cette signification qui continue à être la référence jusqu'à nos jours. Alors pourquoi cette notion de départ relativement « simple » a-t-elle pris des tournures parfois fort complexes ?
Parce que d'après l'un des plus grands mathématiciens des temps modernes Bertrand Russell, il faut faire très attention aux notions «simples» car :
- «compte tenu de nombreuses raisons plus ou moins contingentes, les choses se passent de manière à nous donner des idées qui se révèlent inexactes tout en s'imposant à notre esprit comme des évidences»
A titre d'exemple et contre toute évidence, le briquet a été inventé avant l'allumette!
Transdisciplinarité oblige, avec d'un coté l'un des plus grands poètes de la langue française-Rimbaud-et de l'autre un des plus grands mathématiciens des temps modernes essayons maintenant de «pénétrer» dans cette forteresse qu'est la «modernité».
On a bien dit «essayons» !
«Aussi audacieux est-il d'explorer l'inconnu, il l'est plus encore de remettre le connu en question » disait le chercheur Kaspar.
Nous allons aborder cette question de la modernité sous deux angles :
1. D'abord en faisant un tour d'horizon de trois notions clés
1.1 La modernité avec ses 14 déclinaisons
1.2 La non-modernité
1.3 La Post-modernité et hyper-modernité.
2. Et on clôturera en tentant une approche transdisciplinaire de cette notion
2.1 Les trois niveaux et trois chantiers : Fondements, Présupposés et Problématiques.
2.2 Quelques présupposés : Présent Futur, La ou les Modernités ?
Les trois notions clés La modernité
Nous allons introduire cette notion de la modernité ou des temps modernes par un «petit conte» de Charles Peguy.
«Nous avons connu, nous avons touché un monde (enfants nous en avons participé), où un homme qui se bornait dans la pauvreté était au moins garanti dans la pauvreté.
C'était une sorte de contrat sourd entre l'homme et le sort, et à ce contrat le sort n'avait jamais manqué avant l'inauguration des temps modernes. Il était entendu que celui qui faisait de la fantaisie, de l'arbitraire
Que celui qui introduisait le jeu, que celui qui voulait s'évader de la pauvreté risquait tout.
Puisqu'il introduisait le jeu, il pouvait perdre !
Mais celui qui ne jouait pas, ne pouvait pas perdre !
Ils ne pouvaient pas soupçonner qu'un temps venait, et qu'il était déjà là, et que c'est précisément le temps moderne, où celui qui ne jouait pas perdait tout le temps, et encore plus sûrement que celui qui joue ».
La modernité serait-elle ce temps où «celui qui ne joue pas perd tout le temps» ?
Y compris les «jeux dangereux» ?
Poursuivons toutefois en passant en revue les différentes significations que peut avoir la modernité dans différentes sciences et disciplines.
1. A tout seigneur tout honneur : la modernité selon les philosophes.
2. L'art moderne
3. Chez les historiens
4. Dans les sciences exactes: mathématique et physique
5. Selon les humanités
6. La modernité «méthodologique» : la dialectique
7. La modernité chez nos grands-mères
8. La modernité dans la jeunesse actuelle
9. La modernité politique
10. La modernité économique
11. La modernité chez les chti's
12. la modernité selon le genre : femme ou femme
13. la modernité selon le territoire: Suède ou Burkina Faso
14. Et le nec le plus ultra de la modernité : la pensée complexe
15. Etc. etc.
A tout seigneur tout honneur : que disent « les » philosophes ?
« En tant que concept philosophique, la modernité est avant tout le projet d'imposer la raison comme norme transcendantale à la société. »
La philosophie des Lumières a la première « mise en route » formellement cette modernité via « les luttes contre l'arbitraire de l'autorité, contre les préjugés et contre les contingences de la tradition avec l'aide de la Raison».
«La modernité, c'est vouloir donner à la raison la légitimité de la domination politique, culturelle et symbolique et remplacer les ancêtres par une autorité venant de l'homme lui-même à condition qu'il soit guidé par des principes universalisables»
Mais en mettant toutefois une condition à cet universalisme ne pas être «assujetti à ses penchants ou à ses intérêts.»
Candide «Lumières» !
En prolongement et abreuvé par la Philosophie des Lumières, un autre courant philosophique important «plus moderne», L'Ecole de Frankfurt faisait remarquer que cette «fameuse» Raison a fini par «entrer dans un processus historique de domination de la nature externe et interne de l'homme» Cette Ecole animée par Horkheimer, Adorno, Marcuse et Illich explique par exemple comment «le développement technique permis par la raison et la science s'est mué en esclavage vis-à-vis des contraintes sociales que nous produisons grâce à elle.» Et l'Ecole de Frankfurt de conclure que «c'est la dialectique de la raison qui explique l'échec de la modernité.» Pour eux «la raison, au cours de son histoire, s'est progressivement vidée de sa capacité à déterminer des buts universalisables. Elle devient muette et incapable de dire aux hommes comment vivre.»
Tout en reconnaissant que «ses succès ont lieu dans le champ des sciences naturelles et de la technique» mais pas dans celui très important «de la morale ou de la politique.»
Encore à tout seigneur tout honneur : que dit «un» philosophe ?
Nous venons de nommer Jürgen Habermas.
« Pour Habermas la modernité est un projet inachevé que l'humanité doit défendre et reprendre pour ne point perdre son humanité.»
Bien sur Habermas stigmatise ce qu'il appelle «la raison instrumentale (simple moyen)» et exhorte de ne pas «abandonner le monde social au rapport de force causé par le triomphe de cette raison instrumentale» et à revenir au sens de la «Raison grecque» entendu comme « un instrument de compréhension des fins et de leurs déterminations.»
Il reprendra d'ailleurs une idée de Weber à savoir «la difficulté de cette société à se resacraliser et surtout à le faire à partir de la Science»
Et enfin au seigneur des seigneurs: «le» philosophe de la Modernité
On veut bien sur parler du plus grand : Hegel revisité par l'Ecole de Frankfurt. Hegel explique très bien comment «la circulation des marchandises organisée conformément au droit privé - s'était dissociée de l'administration du pouvoir moyenâgeux.» Hegel est le premier à avoir mis en forme une conceptualité qui soit adaptée, jusque dans les termes, à la société moderne, en distinguant la sphère politique de l'Etat, de la «société civile»
Pour Hegel
«Dans la société bourgeoise, chaque individu est pour lui-même son but, autrui n'est rien. Toutefois sans relation à autrui cet individu ne pourrait pas atteindre l'intégration de son but.
Pour un but particulier, autrui est donc un moyen. Ce but particulier prend alors, à travers la relation à autrui, la forme de l'universalité, et il ne sera satisfait que dans la mesure où il satisfait en même temps le bien d'autrui.»
Hegel présente le mouvement du marché comme un champ consacré à la poursuite stratégique d'intérêts privés, «égoïstes», un champ dans lequel la morale sociale aurait été neutralisée et où ces intérêts privés fonderaient par, là même, un «système de dépendance mutuelle généralisée». Décrite par Hegel, la société bourgeoise apparaît, d'un côté, comme une «morale sociale perdue dans ses extrêmes», «livrée à la corruption». Mais d'un autre côté, il nous dit qu'elle coïncide avec la création du «monde moderne», et qu'elle trouve sa justification dans l'émancipation des individus accédant à la liberté formelle: le déchaînement de l'arbitraire des besoins et du travail est un moment nécessaire dans le processus qui contribue à «former la subjectivité dans sa particularité» Fin de citation.
Nous venons de voir les diverses approches de la modernité des différents courants philosophiques où la Raison voire même la Science ne semblent plus bénéficier de cet aura «quasi-absoluu» qu'elles avaient eu au début des temps modernes
Le post-modernisme sera-t-il un anti-scientisme ? Et un retour à l'Homme ?
Après les philosophes, passons aux Arts et aux artistes!
«La notion de modernisme recouvre un ensemble de mouvements culturels ayant animé les sociétés occidentales de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, dans les domaines de l'art, de l'architecture, de la musique, de la littérature, et participe à la naissance des arts appliqués.»
L'art dit moderne bien qu'issu des Arts Anciens «caractérise une époque non pas la qualité des oeuvres.»
Apparu au début comme s'opposant à l'ordre établi ou à la tradition, il a finit par se créer ses propres...traditions.
Baudelaire dit dans un essai, «La Modernité» publié dans le «Peintre de la vie moderne»
- «La modernité, c'est le fugitif, le transitoire, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable».
Tout un courant des Arts s'est ensuite formé tant autour du hypermoderne surréalisme que dans l'ultramoderne Design se manifestant en tant que «discipline visant à représenter concrètement, une pensée, un concept ou une intention en tenant compte éventuellement d'une ou des contraintes fonctionnelles, structurelles, esthétiques, didactiques, symboliques, techniques et productives.»
Design signifiant en même temps «Dessin et Dessein» et connaîtra son heure de gloire avec le Bauhaus à Weimar qu'Einstein soutiendra dans les moments difficiles.
Mais le Bauhaus pour prendre son exemple tout comme le mouvement surréaliste a été pris en tenaille .
- Entre une approche «techniciste»
- Et une approche «conceptuelle» voire paradigmatique.
Ainsi situe-t-on la modernité du Bauhaus dans
- Son audace «technique» à préférer au «vieux» bois l'acier et les aluminium ?
- Ou son audace «conceptuelle» où le design se veut être «une activité liée à une pensée complexe et à une logique originale où la recherche esthétique s'associe aux stratégies industrielles et où la technologie n'est qu'une partie d'un vaste contexte symbolique.» ?
Cette problématique posée entre autres par le Bauhaus va marquer toute la problématique de la Modernité dans tous les domaines et ce autour de la question «primaire»
- C'est quoi être «moderne» : une technicité ou une approche ?
Passons maintenant à la modernité plus simple des historiens
Pour les historiens les choses paraissent plus simples : la modernité qualifie la période qui va de la renaissance au 19ème siècle, le 20ème siècle est qualifié de contemporain chez les historiens français pour qui tout est centré jusqu'à la Révolution française (1492 à 1792) alors que les anglo-saxons se repèrent par rapport à 1920.
«C'est ainsi que certains historiens anglo-saxons ou allemands contemporains divisent l'histoire depuis la fin du Moyen Âge (dates précises variables):
À 1492 - 1792: «Epoque moderne antérieure» à la chute de l'Ancien Régime (cf. en allemand: Frühe Neuzeit et en anglais : Early Modern Time)
À 1792 - 1920 : «Epoque moderne 1», donc postérieur à la chute de l'Ancien Régime et jusqu'à la promulgation du Traité de Versailles le 10 janvier 1920.
À depuis 1920 : «Epoque moderne 2», donc depuis la fin de la Première Guerre Mondiale Cette époque est judicieusement appelée l'histoire contemporaine.»
Bien sur tout le monde admet actuellement le présupposé «euro-centré» de toute cette classification.
Toutefois malgré ces variations dans la classification, l'ensemble des historiens reconnaissent des indicateurs et valeurs communs à ces périodes en particulier deux paires d'émergences :
- Capitalisme et Bourgeoisie d'un coté
- Et Etat et Nation de l'autre.
Ces deux émergences caractérisant les Temps Modernes.
Des valeurs communes vont aussi apparaître partout
- Le travail et le salariat
- Le marché
- Le progrès voire le positivisme
- Et couronnant tout cela le nécessaire individualisme libérant les paysans européens de leurs servitudes, valeurs et croyances ancestrales.
Sur le plan urbain c'est l'explosion de la Ville et la crise du Rural dont les mouvements migratoires en constituent les manifestations les plus connues.
«Le rôle de la ville européenne durant l'époque moderne peut être considéré comme un processus de longue durée au sein d'un processus millénaire d'urbanisation: la création d'un réseau urbain est une préparation nécessaire à l'accomplissement des fonctions sociales du monde industriel moderne.»
On peut presque dire qu'il n'y a pas de modernité sans ville.
Et pas d'individualité sans HLM (Habitation-à Loyer autant que possible Modéré). Et bien sur pour faire la transition, il n'y a pas de Modernité sans Sciences.
A suivre


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