«Le monde ne sera sauvé, s'il peut l'être, que par des insoumis». André Gide Dans un document diffusé par une chaîne satellitaire (encore ces envahisseurs !), on assiste, incrédules, à une dispute artistique et esthétique entre F. Lang et J.L. Godard (excusez du peu) à propos d'une scène du film «Le mépris». Deux génies de cultures différentes, de générations éloignées l'une de l'autre, avec des conceptions éloignées l'une de l'autre. Mais il y avait, il y a cet invariant, celui de la passion pour le cinéma, celui du respect de l'artiste libre et tenu de s'exprimer en toute liberté. Le lecteur comprendra aisément que nous sommes loin du champ politique algérien, dans lequel les dirigeants de la plupart des partis n'aiment pas le cinéma, ne voient pas les films que l'humanité produit. «Le mépris» de Godard a été tourné dans la villa Orallaparte, du nom de l'écrivain italien. Les patrons de la coalition entendent-ils, savent-ils ce que ces noms veulent dire pour la culture universelle ? Rien n'est moins sûr. Ils ne sont pas inquiétés par l'absence de la moindre reine de cinéma en Algérie, de l'absence qui dure, qui est durable de films algériens dans les plus grands festivals du monde, durant lesquels la fierté d'appartenir à un pays se mesure à l'aune des émotions ressenties lorsque le nom d'un vainqueur est annoncé devant toutes les TV du monde. Enfin presque toutes. Le cinéma a une histoire, une généalogie, des protecteurs dans des sphères qui gouvernent dans les plus grandes démocraties de ce siècle, des parcours singuliers, des fortunes investies à perte, des étendards pour des générations, des serviteurs de l'art et en même temps de justes causes depuis l'invention du septième art. Ce dernier a eu la chance extraordinaire d'être né là où le corps humain, surtout féminin, n'est plus tabou car il fait partie du réel dans toutes les sociétés, dans toutes les religions, même celles qui le mettent en valeur, sans le savoir, par son absence à l'écran en dehors de la fetwa délivrée par de parfaits ignares en matière de spirituel, du discours divin appliqué à des humains parfaitement humains, donc imparfaits, fauteurs et fautifs, innocents et coupables. Le cinéma a eu beaucoup de chance là où il est né. L'envie retrouvée de parler du cinéma, des réalisateurs, ces arpenteurs de l'imaginaire toujours trahis par les rentiers de la bureaucratie, les censeurs en cravate qui pérorent pour mieux boucler portes et fenêtres devant les créateurs sans le sou qui survivent pour exister, dire et fabriquer des images sonores, est revenue à l'improviste à Annaba. «Cinéma sous les étoiles», une opération montée par l'Université de la ville et le Centre culturel français de Annaba, a réconcilié un public majoritairement jeune avec le grand écran. Cette «chose» parfaitement inconnue par le plus grand nombre au sein d'une population où les jeunes sont majoritaires, est possible. Il suffit d'un écran adéquat gonflable et remisé à plat en une poignée de minutes, d'une cabine de projection et d'une programmation de qualité pour que la magie du cinéma opère. Des familles, des jeunes filles, des garçons, terriblement semblables à ceux qu'on voit dans les stades européens, se pressaient dans l'immense cour du lycée Pierre et Marie Curie devant les yeux ravis du recteur de l'Université Badji Mokhtar. Avant la projection, il y a l'accueil musical mené par le groupe El-Gafla (la caravane), métissé à souhait, qui a fait danser (oui danser) des jeunes aux rythmes de sons de partout, organisant un mélange bien méditerranéen. Souvenirs ! Souvenirs ! Il y avait à Annaba un festival méditerranéen sous le parti unique qui donnait une animation dans la ville identique à celle que nous envoient les chaînes satellitaires qui auscultent toutes les rencontres cinématographiques en Méditerranée et ailleurs. La bureaucratie, les rentiers plus bavards que créatifs sont passés et se repaissent aujourd'hui dans tout ce qu'offre l'officialité qui tourne sur elle-même pour vendre du vent, consommer du budget et promettre quelques documentaires et courts métrages dans un désert cinématographique comblé par les envahisseurs venus de l'espace, des projets de loi et des tas de J.O. L'opération montée à Annaba, avec la bénédiction de l'Université, espace naturel et privilégié de la culture, a démontré que rien n'est impossible aux bonnes volontés animées du désir de donner des espaces à la jeunesse par le film et la musique en imaginant des manifestations simples, peu coûteuses et très rentables aux plans festif et culturel, là où les espaces existent pour recevoir une jeunesse avide, comme toutes les jeunesses du monde, de musique, de danse et d'images de toutes les nationalités. Des jeunes qui ont l'opportunité de voir un spectacle cinématographique sur un écran géant, c'est un plaisir qui ne se refuse pas et c'est une initiative à saluer, en espérant qu'elle sera reproduite régulièrement avec de possibles améliorations, et éventuellement être copiée par d'autres universités et d'autres partenaires animés du souci de faire, d'oser et d'aller à la rencontre de jeunes en manque de vibrations, d'altérités et d'arts venus de partout. Annaba sous les étoiles a fait son show. Bon vent pour la suite !