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Blida: La rue malade de ses fous
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 10 - 06 - 2009

Ils sont partout où il y a du monde, et donc quelque chose à manger, ils sont aux abords des boulangeries et des pizzerias, pour bénéficier de la chaleur et d'un peu de nourriture. Ils sont aussi ailleurs, au milieu de la rue, à demi-nus, menaçant et ayant peur à la fois, les cheveux hirsutes, les vêtements noirs de crasse et déchirés, les ongles démesurés, tenant parfois un bâton, une barre de fer, une pierre. Ils sentent mauvais et ils dorment à même le sol, insensibles nous semble-t-il à tout ce qui se passe entre eux. Nous les évitons dans un mouvement instinctif comme nous aurions évité un chien galeux ou une bête dangereuse. Mais si nous regardons leurs yeux, nous y lirions la plus grande détresse du monde, une tristesse infinie qui nous fait frémir, une solitude qui nous donne envie de pleurer. Les yeux d'un malade mental sont peut-être les seuls sens qui se racontent. Quand nous les rencontrons, nous baissons les yeux, nous nous apitoyons parfois, mais nous continuons notre chemin, les oubliant au prochain tournant. Ce sont pourtant nos frères, ce sont nous-mêmes car, personne ne peut être assuré de rester toujours en bonne santé mentale. Eux, ce sont nos malades mentaux qui errent, abandonnés de leurs familles, oubliés de la vie, délaissés par eux-mêmes et par les autres, sans aucune attache, même les chiens les évitent. Mais le Pr. Bachir Ridouh, psychologue de renom, chef du service psychiatrie et médecine légale à l'EHS Frantz Fanon, a voulu casser un tabou et venir en aide à ces pauvres hères dont personne ne veut. C'est ainsi que la quatrième rencontre internationale de psychiatrie et médecine légale Khamed Benmiloud, tenue les 10 e 11 juin courant, a eu pour thème : «Malades mentaux errants : troubles à l'ordre public ? et à laquelle ont assisté le ministre de la Solidarité nationale, le wali de Blida, le représentant du ministre de la Santé et de la population, le DG de l'Office national de lutte contre la toxicomanie et une pléiade de psychologues, d'hommes de loi algériens, tunisien, français et italiens, de représentants de la police et de la gendarmerie. Pour rappel, le nombre de malades mentaux errants dans les rues des grandes et petites agglomérations algériennes a atteint 24.107 dont seulement 3.720 ont pu être pris en charge durant les 5 dernières années.
Mais, le drame le plus grand est celui des femmes car elles sont 2.169 encore mariées, 1.865 veuves, 1.601 divorcées, 1.115 répudiées et 655 mères célibataires. Elles passent la nuit dehors, dans des conditions extrêmes, victimes de toutes les exactions possibles, violées à chaque coin de rue, dépossédées de leurs biens et de leur âme, ne représentant pour beaucoup qu'un objet que tout un chacun peut utiliser à sa guise, sans même être inquiété. Nous voyons donc que ce phénomène d'errance interpelle tout le monde et c'est ce que tente de réaliser le Pr. Ridouh à travers cette rencontre : «nous devons travailler ensemble, aussi bien les services de santé que sociaux et aussi et surtout la famille», a-t-il insisté. En effet, et toujours selon le même spécialiste, le travail du psychiatre est relativement facile puisqu'il s'attaque à une pathologie mentale classée, connue, qui a ses soins appropriés pouvant donner des résultats probants en quelques jours, ce qui ne nécessitera plus l'hospitalisation du malade, et c'est à partir de là que les difficultés surgissent.
En effet, pour éviter une rechute, il faut une prise en charge multiforme du malade mental, aussi bien du côté santé pour la prise régulière de médicaments sans interruption, social en lui permettant de trouver un travail qui l'occupe et qui constitue une source de revenus «apaisante», en le réintégrant au sein de la société qui doit lui faire oublier sa maladie et, comme l'a fait remarquer le représentant du ministre de la Santé : «un grand effort doit être entrepris pour mettre fin à la stigmatisation de la maladie mentale au sein de la société». Et là, la famille est jugée la grande démissionnaire face à la détresse des malades mentaux qui se retrouvent livrés à eux-mêmes, honnis et abandonnés de tous. Mais, certains, comme le Pr. Ferré, estiment qu'il faut plutôt voir pour chaque cas ce qu'il faut faire car certains n'ont aucune famille, d'autres ne veulent par retourner dans la leur pour des raisons parfois objectives, d'autres, les expatriés par exemple, ont plus besoin d'une prise en charge thérapeutique que d'autres choses. Mais il reste toujours que la majorité des malades mentaux qui ont guéri l'ont été grâce à leurs famille.
D'ailleurs, il a été rapporté que dans certains hospices en France où toutes les commodités existent, les malades se dirigent vers la porte d'entrée, à chaque événement spécial, et attendent avec grand espoir la visite d'un parent ou d'un ami : c'est dire l'importance d'une attache sentimentale pour chacun d'eux, et même pour nous, sensés être sains. Pour M. Sayah, le directeur général de l'Office national de lutte contre la toxicomanie, la drogue est la principale cause des maladies mentales et qu'il faut donc commencer par lutter contre ce phénomène pour endiguer cette hausse dans le nombre de malades mentaux. Les autres causes sont, bien sûr, les années de braise qui n'ont épargné personne, les pertes d'emplois, la cherté de la vie, l'éclatement de la cellule familiale ainsi que les prédispositions personnelles. D'ailleurs, une étude prévoit qu'en 2020, les maladies mentales seront la deuxième cause de handicap dans le monde. D'ailleurs, avec 30.000 toxicomanes en Algérie, et qui sont appelés à augmenter de près de 10.000 chaque année, notre pays verra le nombre de ses malades mentaux doubler d'ici quelques années, surtout si une prise en charge efficace n'est pas envisagée dans un proche avenir.
Enfin, et concernant les mesures immédiates que l'Etat compte entreprendre, nous apprenons que 188 centres de prise en charge pour soins primaires mentaux sont opérationnels à travers le territoire national, la création de centres de pédo-psychologie sera généralisée, 14 hôpitaux psychiatriques seront réalisés dans un premier temps, en plus de ceux déjà existants, afin d'arriver à au moins un hôpital dans chaque wilaya, ceci pour rapprocher les soins des malades et éviter les déplacements et les errances. Outre cela, 53 centres intermédiaires de désintoxication sont en cours d'installation à travers le territoire national alors que 2.000 lits supplémentaires seront créés qui viendront renforcer les 5.000 existants, nettement insuffisants.


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