Ayant presque disparu de nos rues pendant un certain temps, le phénomène des enfants errants, abandonnés, sales, mendiant aux portes des restaurants ou à celles des mosquées et des marchés reprend de l'ampleur. En effet, ils sont de plus en plus nombreux à se tenir devant les restaurants, les cheveux hirsutes, repoussant de saleté, les pieds nus, les yeux suppliants, chétifs, âgés entre 10 et 15 ans et demandant à ceux qui y pénètrent de leur donner quelque chose à manger. Certains, pris de pitié, leur ramènent un casse-croûte, qu'ils s'empressent d'ingurgiter, mâchant rapidement puis reviennent à leur poste d'observation. D'autres les tancent ou leur demandent de retourner chez eux au lieu d'apprendre à mendier si petit. Qui sont-ils ? D'où viennent-ils ? Quelle est leur condition réelle ? Ce sont des questions auxquelles il est plutôt difficile de répondre mais nous avons essayé d'en savoir un peu plus. Nous avons pris l'un d'eux à part et nous lui avons demandé pour quelles raisons il était obligé de mendier ainsi. Il répondit ingénument: «Parce que j'ai faim». Il fallait demander par la suite pourquoi il n'était pas chez lui et là, la réponse était poignante: «Je n'en ai pas. Mon père est parti je ne sais où et ma mère s'est remariée alors mon beau-père me demande constamment d'aller travailler pour manger mais je n'ai pas trouvé de travail. Alors je viens ici, je mange à ma faim, j'attends qu'il fasse nuit et je retourne à la maison». Il nous informa qu'il habitait dans une autre ville de la wilaya de Blida et qu'il était venu en bus «sans payer», a-t-il tenu à préciser. Jusqu'où a-t-il dit la vérité, nul ne peut le dire. Dans un autre endroit, juste devant la porte d'une pizzeria, deux enfants d'une dizaine d'années chacun, un garçon à l'air farouche et une fillette aux yeux très tristes, se tenaient debout et regardaient les clients avec un air de chien battu. Certains leur remettaient des tranches de pizza, d'autres des pièces de monnaie ou une bouteille de limonade. Le patron nous informa que ce sont les enfants d'une femme qui mendiait non loin de là et qui les envoyait ici pour qu'ils puissent manger à leur faim. Nous avons voulu les interroger mais ils ne voulurent rien dire. Ailleurs, devant le marché Guessab, nous en avons trouvé aussi qui mendiaient, assis à même le sol, mais sans rien dire. Ils se contentent d'être là, de tendre la main, l'oeil et l'oreille aux aguets, prêts à se sauver à la moindre alerte. En effet, ils ont une peur bleue des services sociaux et des policiers car, paraît-il, ils sont parfois issus de familles qui se sont spécialisées dans la mendicité et qui sont très bien organisées, avec des territoires bien définis pour chacun. D'autres enfants sont des fugueurs qui se sont sauvés à cause d'une marâtre impitoyable, d'un père ivrogne et dur ou d'une mère indigne. Mais si durant le jour ils sont là, à manger des restes et à essayer de survivre, où vont-ils la nuit venue ? D'après certains, ils rentreraient tout bonnement chez eux, le ventre plein et raconteraient leur journée à leurs parents. D'autres n'ont pas où aller et cherchent les coins sombres pour dormir d'un seul oeil car ils subissent toutes sortes d'exactions de la part d'adultes sans foi ni loi qui les agressent. Quelques-uns prennent le bus juste avant le crépuscule et retournent dans leurs douars pour se reposer et revenir le lendemain. Mais qu'est-ce qui peut bien pousser un enfant de cet âge, qui aurait dû se trouver en colonie de vacances ou au moins près de chez lui à jouer et à se reposer pour reprendre le chemin de l'école dès la rentrée, à se retrouver mendiant, passant ses journées à tendre la main et à quémander des miettes que beaucoup jettent et refusent de leur donner ? D'après un sociologue, la faute incomberait entièrement aux parents, au père avant la mère. En effet, certains géniteurs, peut-être par manque de moyens, obligent leurs enfants à ramener leur manger de quelque manière que ce soit. Ils n'achètent presque rien, juste peut-être quelques baguettes de pain insuffisantes et du lait, et refusent tout à ceux qu'ils ont enfantés. D'autres enfants, les fugueurs en général, ne trouvent que ce moyen pour se nourrir et ne reviennent pas toujours au même endroit pour éviter d'être repris et obligés de revenir chez eux. Outre les fugueurs, il y a ceux qui n'ont vraiment pas où aller, les enfants de filles-mères qui ont survécu, ceux dont les parents sont décédés et qui n'ont trouvé personne pour les prendre en charge, ceux dont les parents sont divorcés et remariés et qui ne sont acceptés ni par la mère ni par le père. C'est donc à l'Etat, à travers ses institutions sociales, que revient l'obligation de prise en charge de ces enfants qui sont en danger, autant du point de vue moral que physique. Des campagnes de sensibilisation des parents, des aides multiformes aux familles démunies - pas seulement durant le Ramadhan - et une obligation effective aux enfants de rejoindre les bancs des écoles pourraient atténuer ce phénomène et éviter ces scènes de misère et d'abandon dans un pays qui n'est pas si pauvre que cela.