Pour certains modèles de véhicules relativement âgés, un mécanicien honnête rechignera à vous dépanner avec une pièce de rechange Taïwan achetée dans le magasin d'à côté. Il vous recommandera plutôt celle que vous pourrez dénicher auprès des marchands de ferraille. Même usagée et plus chère que la neuve, elle a le mérite d'être d'origine, donc plus fiable ! Dans tous les magasins visités il ne trouva que des pièces de contrefaçon qu'il s'abstient d' acheter pour réparer la boite de vitesse de son camion immobilisé depuis un bon bout de temps.Il allait revenir bredouille quand il se rappela une curieuse aventure vécue par l'un de ses amis ayant souvent fréquenté l'axe routier M'Sila - Batna. Il lui avait raconté, entre autres, sa propre expérience pour dégotter une pièce rare datant des années quarante du siècle dernier ! Une véritable gageure pour remettre en marche une vieille motopompe qu'il avait trouvée enterrée aux trois quarts sous un tas de décombres dans la cave d'une ex-ferme de colon datant de l'occupation française. .Il prit la pièce défectueuse et commença sa prospection auprès des multiples parcs de ferraille. Guidé de l'un à l'autre, il arriva enfin au parc d'un ancien docker, connu pour sa passion de collectionner les objets les plus originaux et les plus rares. Il est introduit dans une véritable caverne d'Ali Baba regorgeant d'objets d'un autre âge. L'homme qui l'accueillit regarda la pièce, la soupesa et l'ausculta sous tous les angles avant de disparaître dans un dédale d'objets aux formes étranges. Au bout d'un moment il revient tout fière avec la pièce en question et lui demanda s'il n'avait pas besoin d'autres organes de ce moteur dont il prononça le nom de marque aujourd'hui complètement disparue avec une pointe de soupir nostalgique ! Encouragé par le miracle survenu à son ami il s'engagea sur cet axe et fut tout de suite surpris de constater que la plus grande partie du trajet est couverte par des parcs de ferraille s'étendant à l'infini et séparés le plus souvent par un simple alignement d'objets lourds difficiles à manier pour éviter les incursions malveillantes. Les façades donnant sur la voie principale, ornées par quelques écriteaux badigeonnés à la hâte avec un gros pinceau et de la peinture rouge ou verte indiquait le nom et la spécialité commercialisée: MomoElharrachi: bijou; Kadourelbariki: rono, Kacilekbayli: birli jaka; Adda etiarti: si-trouen ainsi de suite. Certains parmi eux ont fini par acquérir une notoriété à l'échelle nationale et sont organisés en puissants lobbys parfaitement structurés pour rafler toutes les enchères juteuses des véhicules et engins réformés par les institutions de l'état ou les grandes entreprises. Gare à celui qui viendrait s'aventurer dans leur bisness ! Dans cet univers interlope rien n'est laissé au hasard. Outre les arrangements avec les « techniciens » chargés de la préparation de l'exposition pour la rendre la moins attrayante possible et dévaloriser au maximum les produits aux yeux des éventuels intrus lors de la visite, le plafond des prix à ne pas franchir est fixé à l'avance par les barons de la ferraille. Les dessous de table négociés en coulisse la veille avec les partenaires de l'opération sont calculés et versés selon certains critères.Chacun trouve son compte, sauf bien sur les éternels dindons de la farce: le fisc et le propriétaire initial.D'ailleurs ils ne disent jamais rien, donc ils sont heureux ! Reste à planter le décor pour le jour des enchères qui devient ainsi une simple formalité qu'on fera orchestrer par le commissaire priseur. Le légalisme a parfois son utilité ! .. Dans les parages du site, un véritable manège de dissuasion est exécuté sans la moindre discrétion par des sbires traînant ostensiblement leurs gourdins noueux dans une atmosphère chargée de menaces à peine voilées pour refroidir toute velléité de concurrence susceptible de booster les enchères. Pour les rivaux qui disposent de suffisamment de moyens de rétorsion, on négocie à coup de sachets noirs remplis de billets, le retrait prématuré de la compétition quand ce n'est pas un désistement en dernière minute.Des alliances d'intérêt et des cartels naissent ainsi et disparaissent au gré des marchés et des affaires. Après plusieurs kilomètres parcourus au ralenti pour repérer l'endroit recommandé, il crut apercevoir les premiers indices qui correspondent à la description fournie par son ami. Il s'engagea dans un chemin de traverse et arriva devant une barrière constituée de tôles enchevêtrées sur laquelle est suspendue ce qui fut une portière d'engin, se balançant dangereusement au grés du vent avec des grincements lugubres. Dessus on pouvait difficilement déchiffrer ce qui est écrit en lettres baveuses mais c'était bien l'adresse recherchée ! Quelques coups de klaxons, et une personne entre deux ages apparut, les vêtements luisants de cambouis et une grosse clef anglaise à la main. L'objet de la visite connu, le patron est mis au courant. L'accueil se fait dans son bureau installé dans une cabine saharienne. Les salamalecks d'usage expédiés et les présentations faites, ce dernier ravi de rendre service à une connaissance d'un receveur nas m'lah devenu son ami du temps où il s'occupait des impôts du coin appela son homme de confiance auquel il passa la commande. Le temps de prendre une tasse de café et on informa le patron que l'opération de transbordement d'une boite de vitesse complète dans la camionnette est terminé.Tout heureux d'avoir enfin trouvé ce qu'il cherchait il ne se rappela même pas combien il a payé. Le recours à ces ferrailleurs est souvent indispensable dans la mesure ou il permet de se dépanner avec un minimum de sécurité qu'avec la pièce « taywan » de sinistre réputation et surtout accusée d'être à l'origine de nombreux drames. Mais comment sont-ils fournis et d'où détiennent-ils tous ces stocks très variés. On a beau faire toutes les supputations pour expliquer la provenance de ces hectares de ferraille qui envahissent nos paysages, ou de ces montagnes de pièces de contrefaçons qui remplissent les magasins la réponse demeure aussi énigmatique.Et la réglementation dans tout cela ? Il y a certes la casse des épaves retirées de la circulation à cause de la vétusté ou des sinistres mais l'argument semble peu convaincant.On n'hésite pas à invoquer l'existence des réseaux spécialisés dans le vol et le démantèlement des véhicules pour alimenter le marché.D'autres soutiennent que certains ferrailleurs s'approvisionnent directement auprès de leurs homologues étrangers et mettent sur le marché des pièces d'occasion qu'ils ramènent par containers entiers.Et la pièce Taiwan par où et comment arrive-t-elle ? Telle est donc la situation actuelle de la pièce de rechange ! La plupart des Algériens possèdent généralement des véhicules d'occasion pour la plupart d'origine française favorisés par de nombreux facteurs liés à l'histoire, la tradition, la langue, la proximité, l'émigration et surtout la fiabilité du matériel. Des marques très prisées et dont l'entretien est maîtrisé par nos mécaniciens. Les meilleurs connaisseurs des véhicules sont incontestablement les taxieurs. Observons ce qu'ils préfèrent et cessons de nous triturer les méninges pour des résultats jusque là calamiteux. Au lieu de partir de la réalité du terrain pour bâtir une stratégie en rapport avec le vécu réel de nos compatriotes, on continue de recourir à une pifométrie hasardeuse tout en voulant la faire admettre comme le nec plus ultra des théories économiques et sociales. On ne comprendra jamais quel est l'intérêt d'interdire l'importation des véhicules d'occasion de plus de trois ans dans un pays ou l'age moyen du parc national dépasse. Dix ans. Une mesure que reconduit mécaniquement notre loi des finances d'année en année. La logique conseillerait plutôt de prendre en considération l'expérience et le savoir-faire du principal utilisateur, en l'occurrence le taximan et non les hobbies des salonards complètement déconnéctés de la réalité parce qu'à l'abri des retombés de cette loi et négocier des contrats avec ces grands constructeurs, dont le sérieux est planétairement admis, pour l'acquisition de leurs stocks invendus à des prix certainement très intéressants surtout en ce moment de crise. Par dépit, devant l'autisme ambiant, on s'est laissé fourguer des marques dont même le nom est impossible à prononcer. Inexistentes ailleurs, on dirait qu'elles sont spécialement fabriquées pour nous êtres refilés. Dans la frénésie de ces importations tout azimuts les produits Taiwan et confrères ont inondé le marché et prospèrent au nom d'une libéralisation du commerce décidée par des gens qui ne cachent même plus leur plaisir de nous enfariner d'avantage Ceux qui s'acharnent aujourd'hui à nous noyer dans les ersatz Sud-Est asiatique avaient, dans le passé, accablé d'amère dérision les organismes commerciaux de l'Etat (Souk El Fellah, Galeries Algériennes, Sonacome, Onaco etc. .) Ils n'arriveront cependant jamais à accuser ces institutions d'avoir un jour tenté de nous arnaquer avec des produits de qualité douteuse au vu et au su de tout le monde Quelle chance a l'Algérien moyen de voir un jour les prémices du paradis qu'ils nous avaient pourtant promis ? Il suffirait pour cela de démanteler les barrières douanières prétendaient-ils. Le résultat on le connaît.