«Les liaisons dangereuses», le roman épistolaire écrit par Pierre Choderlos de Laclos, fait le récit des aventures libertines de deux personnages mais aussi de la lutte qu'ils se livrent dans un jeu de séduction qui se transforme en une rivalité destructrice amenant les deux combattants à se prendre mutuellement ce qu'ils ont de plus précieux. Dans une des lettres qui constituent l'ouvrage, la Marquise de Merteuil écrivait au Vicomte de Valmont: «Vous n'ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit». Les écrits de Moulay Chentouf et d'Ali Hocine sont autant d'éléments qui nous permettent d'appréhender leurs thèses et leurs ressorts. Ces deux membres de la direction du MDS issue du congrès de 1999 assument, avec plus ou moins d'élaboration et de conséquence, la défense de certaines idées et nous permettent ainsi d'analyser l'articulation contradictoire qu'ils entretiennent entre eux et avec les intérêts, les forces et les stratégies mises en oeuvre sur la scène politique nationale. Cependant, comme dans toute affaire où se mêlent passion et raison, on peut considérer qu'il y a trois personnages. Cette fois ci ce ne sont pas la femme, le mari et l'amant qui s'affrontent, mais trois tendances politiques. Dans un texte intitulé «le nouveau défi» j'avais défini ces trois courants. Le premier se veut radicaliste et estime que nous faisons toujours face à un Etat hybride et un système rentier dont l'islamisme représente le paroxysme. A sa tête Ahmed Méliani a paru identifier radicalité et boycott. Un second courant défend l'idée que la contradiction principale a changé et que nous faisons face à une dérive despotique néolibérale. Je qualifiais un dernier courant de pragmatique, sorte d'ajustement à droite par rapport à la ligne du MDS. Une manière de revenir à la problématique qu'abordait Hachemi Chérif dans sa lettre au pré-congrès dans laquelle il se demandait s'il fallait une «adaptation à droite pour coller au réalisme, s'en remettre à ce qui est présenté comme l'évidence, ou réaffirmer notre vocation progressiste de gauche moderne, capable de trouver le compromis le plus positif entre les intérêts des travailleurs, des cadres, des masses populaires et ce qu'on peut en tirer de ce réel et du rapport de forces qu'il impose.» Dans «le nouveau défi», je jugeais que les pragmatiques rejoignaient les radicalistes en voyant l'opportunité de peser sur l'évolution du mouvement. Au cours d'un échange, récusant ce qui lui apparaissait comme une accusation d'alliance contre nature, Ahmed Méliani me demandait s'il n'y avait pas, aussi, des pragmatiques dans ce qui avait été nommé l'aile Ali Hocine. Je lui répondais oui, considérant qu'il était évident, en théorie, que des pragmatiques se placent dans les deux ailes, voulant lester toutes les solutions dans un débat loin d'être tranché en faveur d'un camp ou de l'autre. Ahmed Méliani voudra, plus tard, isoler ces pragmatiques, sans comprendre que leur isolement passait aussi par la mise en échec des thèses radicalistes. Dès que le MDS fut engagé dans les législatives, Ali Hocine marqua nettement son caractère pragmatique et son penchant pour certaines thèses libérales. Rétrospectivement, il semble qu'Ali Hocine s'est attaqué violemment à Moulay Chentouf, qui alimente sa propre démarche en neutralisant ou décourageant le potentiel militant existant, et même en le fourvoyant dans l'aventure d'un nouveau parti, à la fois pour légitimer ses propres pratiques mais, aussi, pour s'affirmer comme le seul chef de ce courant. Il est clair qu'il existait au sein de ce courant deux tendances, l'une franchement pragmatique, l'autre n'assumant son pragmatisme qu'à retardement. Ali Hocine se revendique ouvertement de la première catégorie et de la nécessité de s'adapter, de «capitaliser», à défaut de pouvoir changer immédiatement les choses. «Nous sommes à un moment d'affrontement entre l'ultralibéralisme et le libéralisme» écrit Ali Hocine dans son évaluation des législatives de 2007. Il nous livre sa théorie, libérale, en postulant qu' «il ne suffit pas d'affirmer son opposition au libéralisme pour être révolutionnaire» et trace une perspective, l'Etat-providence qui «intègre la dimension sociale comme un élément essentiel dans le progrès». Pour des pragmatiques, comme Ali Hocine et Moulay Chentouf, tout silence dans le débat de fond ou toute position d'attente sur les questions politiques vaut acquiescement et encouragement à persévérer dans leurs démarches respectives. Plutôt que de le traiter avec le mépris, je pense qu'il faut donc questionner l'objet et le sujet de cette nouvelle obstination d'Ali Hocine au moment où l'on voit se dessiner l'échec du libéralisme à l'échelle mondiale. Tout en ayant, comme d'autres, une part de responsabilité et sans vouloir renvoyer dos-à-dos et mécaniquement les agissements des uns et des autres, je constate qu'après Moulay Chentouf, Ali Hocine empêche, d'une certaine manière, la prise en charge sereine du débat en se comportant comme s'il pouvait en être le seul garant. Comme Moulay Chentouf, il exige de venir prendre de nouvelles cartes d'adhérents chez lui, en s'imaginant qu'on ne peut pas lui faire grief de refuser l'unité alors qu'il pense donner toutes les assurances. N'être lié par aucune loi, aucune règle, ce n'est pas la démocratie disent les militants. Ils font ce triste constat : Ali Hocine estime avoir eu le droit, comme responsable, de tenir un congrès unilatéral, parce que ses adversaires ne voulaient pas venir au congrès qu'il a préparé de façon unilatérale tandis que Moulay Chentouf considère qu'il a eu le droit de créer un nouveau parti qui serait le seul détenteur du patrimoine du MDS un peu comme le FLN de Belkhadem serait l'héritier légitime du FLN de Ben M'hidi. La conséquence c'est que tous les deux se retrouvent bien isolés lorsqu'ils veulent commémorer la disparition d'El Hachemi Chérif comme en ce matin du dimanche 2 août à Miramar. Parce qu'ils ramènent son héritage à un enjeu de légitimité, les militants qui la leur refusent préfèrent ne pas les rejoindre sur la tombe du défunt. Ils n'entendent plus les appels de dirigeants du MDS, mais ceux de pragmatiques. Car dans ces appels disparaît le souci de l'unité et avec lui le souci de peser de manière autonome. C'est-à-dire que disparaît la pertinence du MDS, et ne reste que ce que les militants craignent voir devenir un futur comité de soutien ou une secte tiraillée entre la radicalité démonstrative et la tentation du simple «contre-pouvoir». Les conceptions politiques d'Ali Hocine ont longtemps transparues dans sa pratique et sa dénonciation des pratiques de ses adversaires. C'est d'abord là que s'est affirmé son caractère pragmatique, pendant pratique de ses idées libérales, aujourd'hui assumées. On peut penser qu'il espérait rassembler plus de forces sur la question du fonctionnement démocratique du MDS ou sur la question de la participation aux élections que sur une question aussi difficile à élucider que celle de la contradiction principale et surtout sur la position politico-idéologique qu'il défend maintenant. Objectivement il a ainsi retardé le débat et l'accès des militants au partage d'une représentation plus précise du projet démocratique et de progrès. Et par là même, quelque satisfaction il tire des nouvelles adhésions, il a entravé le développement d'un large mouvement. Faute d'une extension des représentations partagées de la société et du devenir de l'Etat, c'est l'adaptation à la ligne dominante, celle du pouvoir, qui apparaît comme l'évidence. Donc, d'un point de vue pratique, Ali Hocine se trompe en prétendant vouloir construire un grand parti en agissant ainsi. Mais il y a aussi une mauvaise appréciation théorique de la part des camarades qui dénonçaient la participation aux élections. Ils ont combattu la participation, en s'attaquant à l'idée que la contradiction principale aurait changée, puisqu'il s'agissait, en conséquence, de renoncer à la pratique du boycott. «Le vrai but se drape dans une hallucination : nous tendons la main vers elle, et la nature, grâce à l'illusion, atteint tout autre chose» expliquait Nietzsche. En croyant s'attaquer à une pratique erronée, la participation aux élections, on a permis à une idéologie qui est loin d'être la plus proche de notre vocation politique d'émerger : le libéralisme. Versatilité ? Approximation ? Vil opportunisme ? Délinquance politique ? Peut être mais on ne doit pas tout réduire, chez Ali Hocine ou Moulay Chentouf à une équation personnelle d'où le politique serait absent. Si on le fait c'est certainement pour masquer, ou se masquer, la part qui dans le politique pourrait nous rendre complice de leurs comportements. On est alors dans l'embarras quand on constate qu'Ali Hocine peut légitimement dénoncer les lectures réductrices qui l'accusent d'avoir renoncé à la laïcité quand il rédige son texte sur le voile mais qu'il n'hésite pas, lui-même, à caricaturer ceux qui n'ont pas la même évaluation que lui sur la participation aux législatives estimant qu'il s'agissait du «premier contact réel avec la société» et que le mouvement «donnait l'impression de sortir de la clandestinité». On est révolté de voir qu'Ali Hocine critique Ahmed Méliani lorsqu'il se rend sur les plateaux d'une chaîne de télévision iranienne installée au Liban, mais qu'il n'hésite pas à s'y rendre lorsqu'il est invité à son tour. On ne s'explique pas qu'au nom du réalisme Ali Hocine court prendre l'argent des commissions électorales à coup de procurations et demande ensuite qu'on recherche des «propositions concrètes, à la lumière du projet de loi électorale qui semble vouloir dissoudre les commissions de contrôle, et laisser les partis se débrouiller tous seuls». Pas plus qu'il n'est intelligible qu'Ali Hocine considère, aujourd'hui, comme fractionnel le travail de ceux qui contestent sa démarche portant les mêmes accusations que ceux qui le traitaient de dissident hier. La multiplication des postures et des discours contradictoires pouvait laisser perplexe, leur logique implacable apparaît dès qu'Ali Hocine s'est revendiqué du libéralisme. Une des caractéristiques de ce dernier c'est qu'il rejette la lutte idéologique. Pragmatique et prétendant vouloir le changement, le libéralisme refuse toute forme d'enfermement réglementaire ou doctrinal. Il y a, il est vrai, de quoi révulser les camarades habitués aux principes et à la droiture. Mais il faut être soit même parfaitement irréprochable sur ce plan pour pouvoir mettre Ali Hocine en défaut. La situation au MDS reflète les hésitations de la société Le sentiment que partagent les camarades c'est qu'Ali Hocine se proclame Secrétaire Général du MDS mais qu'il est dans une démarche de contournement de ce même MDS. Comme Moulay Chentouf, il contribue au moins à démontrer que le mouvement a besoin d'une profonde mise à niveau. Leur parti pris, affiché, de la radicalité est pertinent, dès lors qu'il n'oppose plus les deux termes de la prolongation et de la refondation de cette radicalité. Moulay Chentouf en créant un nouveau parti, Ali Hocine en prônant le dépassement, revendiquent tous les deux la responsabilité de mener la transformation. Mais leur comportement semble vouloir dire : Que justice me soit faîte, le MDS dût-il périr ! La conséquence c'est qu'Ali Hocine est fort d'un intérim reconnu par Zerhouni mais quasiment plus par le moindre militant de longue date. Pouvait-il en être autrement quand le débat n'a pas pu aller à son terme parce que nous n'avons pas su empêcher que les problèmes idéologiques et politiques ne soient réduits aux questions organiques ? Dans son évaluation des législatives de 2007, Ali Hocine justifiait d'ailleurs sa position unilatérale d'aller aux élections même là où le MDS n'existait pas, par le seul fait qu'il ne fallait pas «corroborer les thèses de Méliani qui soutient que nous sommes minoritaires». Ni l'exclusion, ni l'intérim permanent, ni la seule recherche de rapports de force favorables ne peuvent être des réponses aux questions de fond qui sont posées au MDS. A défaut d'une alternative unitaire, Ali Hocine ne craint pas de prêter flanc à ceux qui l'accusent de faire de nouvelles cartes pour expurger les listes d'adhérents après avoir tenté de contourner le MDS par des alliances extérieures qui auraient fondé sa légitimité. Il aura seulement causé l'échec du rassemblement républicain avec l'ANR et l'UDR en en réduisant la vocation à un règlement de compte interne. Pourtant la meilleure manière d'aborder les rapports entre anciens et nouveaux, ou la question des alliances, ne serait elle pas de se poser la question : est-ce que la ligne défendue représente les intérêts des nouveaux adhérents ou des alliés qui désirent lutter contre le système ? Vise t'elle à les affranchir et à les aider à s'autonomiser ou au contraire les pousse t'elle à la conciliation avec le pouvoir ? Au nom de sa conception pragmatique/libérale, il y a, chez Ali Hocine, une tendance à élaborer systématiquement des clivages qui contournent la contradiction principale ou l'expriment en des termes plus ambiguës. Il reproche aux uns de s'installer dans une forme de confort intellectuel et d'empêcher une avancée de la ligne par esprit rentier tandis qu'il reproche aux autres de trop philosopher. Il accuse certains de ne pas assumer le fait qu'aujourd'hui il faudrait défendre le capitalisme, arguant que dans ses textes fondateurs le MDS n'aurait jamais proclamé qu'il est de gauche, mais en niant le fait qu'il a encore moins affirmé qu'il serait de droite. Il exige de ces adversaires qu'ils disent que derrière l'économie productive, il y a le capitalisme et seulement le capitalisme selon une conception digne des thèses de la fin de l'histoire auxquelles mêmes son auteur a pourtant renoncé. Parfois c'est sur le plan du comportement qu'Ali Hocine clive le débat. Laisser faire, laisser passer n'est-ce pas l'attitude qu'il souhaite que nous érigions en principe? Il abaisse la modernité et la démocratie à la tolérance pour des comportements réprouvables. C'est de la passivité, de la complaisance, de la démagogie. Surtout qu'il a démontré qu'il ne dédaignait pas, pour autant, les pressions physiques, même s'il aime à se présenter comme victime de la violence au sein du MDS. L'influence idéologique et les pratiques du pouvoir ne pouvaient pas ne pas pénétrer le MDS. En effet, la synthèse des positions libérales et pseudo pacifistes ne s'exprime t'elle pas dans la réconciliation nationale au nom de laquelle le pouvoir tourne contre la société une partie des forces qui luttaient contre le terrorisme islamiste ? À chaque période de l'histoire correspond une conception de la rupture; à chaque moment de la culture démocratique et de progrès, une conception de l'action politique et de l'organisation. Ali Hocine est prêt «à franchir le Rubicon» dit il contrairement à ceux qui «tirent le frein à main». Mais on l'a vu avec Bouteflika, qui n'a pas hésité lui non plus à casser des tabous, en redoutant d'assumer les implications de la rupture, on crée, même sans le vouloir, les conditions de la continuation. Et au lieu de permettre au MDS de se redresser on l'installe dans la crise tout en disant «ceux parmi nous qui considèrent que les efforts d'adaptation à la réalité procèdent d'une volonté de vendre notre âme et de trahir nos principes font un raccourci». Ali Hocine croit que parce que le MDS a besoin de s'adapter il a raison de vouloir s'en éloigner. Il écrit, pour se justifier, «le souci de fidélité aux idéaux et principes de nos aînés est légitime, mais le caractère révolutionnaire de la fidélité n'est-il pas dans le dépassement de ce que nous avons été ? La rupture avec le système et avec ce que nous avons été.» Ali Hocine confond ainsi en quelques lignes dépasser et tourner le dos, dialectique et mécanique. A suivre