Trois apatrides, deux Russes, un Estonien, un Letton et un autre de nationalité indéterminée. Les huit « pirates», présumés accusés d'avoir détourné l'Arctic Sea, sont officiellement incarcérés, selon la décision du tribunal Basmanny de Moscou. Dans ce long feuilleton du bateau, parti à destination de Béjaïa, attaqué dans les eaux suédoises - et peut-être une seconde fois au large du Portugal - avant d'être récupéré par la marine de guerre russe au large du Cap-Vert, cette incarcération n'a rien d'un épilogue. C'est que la question première n'a toujours pas de réponse probante : l'Arctic Sea ne transportait-il qu'une innocente cargaison de bois à destination de l'Algérie d'une valeur de 1,5 million de dollars ? Sous le bois, y avait-il des missiles, ce qui expliquerait qu'un commando des services spéciaux ou des mercenaires recrutés par ces mêmes services aient décidé de «prendre» le navire ? Des journaux russes ont évoqué ouvertement une attaque menée par le Mossad israélien. Selon la «Novaya Gazeta», les huit hommes armés qui se sont emparés du paquebot le 24 juillet dernier, dans les eaux territoriales de Suède, ont vraisemblablement loué leur service au Mossad israélien. Motif : l'Arctic Sea aurait transporté des missiles Cruze-x 55 destinés à l'Iran ou à la Syrie. Selon le journal, la visite, le 18 août, du président israélien Shimon Peres ne serait pas étrangère à l'affaire. Il n'en reste pas moins qu'officiellement cette visite était prévue. Elle répond à une invitation du président russe Dmitri Medvedev. La version de Novaya Gazeta a été démentie par l'ambassadeur de Russie auprès de l'Otan, Dimitri Rogozin, mais elle continue d'être évoquée avec persistance dans les médias russes. Des pirates «écologistes» Pour ajouter au mystère, beaucoup se demandent pourquoi les pirates présumés sont restés à bord du navire qu'ils ont «abordé» le 24 juillet, jusqu'à ce que la marine russe vienne les arrêter. Des spécialistes russes estiment que la Russie n'a pas l'habitude de déployer des grands moyens pour aller au secours de marins russes en situation difficile. La nationalité indéterminée de 4 «pirates» sur les 8 suscite des doutes. D'autant que les huit «pirates» auraient donné une version étonnante des événements. Ils ne seraient que des membres d'une organisation écologiste qui aurait trouvé refuge dans l'Arctic Sea. L'un des suspects, selon un compte rendu de l'agence de presse russe, Itar-Tass, a déclaré : «Il y a eu un orage et nous avons cherché refuge sur le premier navire venu». L'explication parait bien farfelue. Mais la thèse officielle des Russes parlant d'un «acte de piraterie» reste sujet à caution. On sait désormais que les services de l'Otan ont continuellement su où se trouvait le navire. L'ancien chef de l'armée estonienne et présentement rapporteur de l'Union européenne sur la piraterie, Tarmo Kouts, a estimé que l'on est en présence d'une affaire de trafic d'armes qui aurait mal tourné. Désinformation Un article publié mercredi dernier par le quotidien estonien Postimees, il estime que «Seule la présence de missiles à bord de l'Arctic Sea peut expliquer l'étrange attitude de la Russie dans cette affaire». Selon lui, si le navire n'avait transporté qu'une cargaison illégale de drogue, « jamais Moscou n'aurait pris de mesures si énergiques pour le retrouver». Le fait que la Russie ait annoncé que le cargo allait rejoindre le port de Novorossisk en mer Noire est également considéré comme une bizarrerie. Sauf, estime-t-on, s'il s'agit de décharger, «discrètement» des missiles sous les troncs de bois. Ainsi, derrière la thèse officielle de l'acte de piraterie, émerge l'hypothèse d'un trafic d'armes que des agents recrutés par le Mossad auraient essayé de contrarier. Mais même cette hypothèse de trafic d'armes parait douteuse à certains experts. Selon Alexandre Khramchikhin, analyste en chef à l'Institut d'analyse politique et militaire, «tout est possible. Mais je ne comprends pas pourquoi ils emprunteraient une voie si compliquée par la Finlande alors qu'il est beaucoup plus facile de le faire directement de Russie». L'argument est fondé et ce n'est pas le moindre des mystères de l'affaire de l'Arctic Sea. Le feuilleton continue... La désinformation aussi...