Un enfant est mort et un autre a été gravement blessé au cours du mois d'août dans deux centres chinois de désintoxication d'Internet. Dix millions de jeunes Chinois seraient concernés par ce nouveau mal. Visite de l'un des 400 centres. L'entrée du bâtiment est protégée par deux soldats en uniforme, arme au poing et casque sur la tête. «Nous sommes ici dans une caserne de l'armée populaire de libération (APL)», commente le chauffeur. «Les étrangers y sont interdits». Une dizaine d'hommes vêtus d'un treillis vert et d'un t-shirt de camouflage courent en rang dans le parc intérieur. A l'extrémité de la caserne, un bâtiment est réservé au centre de désintoxication d'Internet. «Il en existe dix en Chine comme celui-là», précise le docteur Tao Ran, directeur du centre. «Nous sommes directement lié à l'hôpital de l'APL du quartier de Dongcheng et nous traitons donc médicalement et psychologiquement nos patients de manière scientifique, contrairement aux quelque 400 centres privés répartis dans le pays». L'établissement a été déplacé à 40 kilomètres du centre-ville en 2004 afin de profiter de plus d'espace pour accueillir ces drogués à Internet, dont le nombre croit jour après jour. «Nous estimons que dix millions de jeunes Chinois sont atteints par cette addiction», poursuit le médecin. «Ils sont généralement âgés de 22 à 40 ans, 90 % d'entre eux sont des hommes et ils sont surtout dépendants des jeux vidéos». Une trentaine d'élèves, dont trois filles, y résident actuellement. Lou Yixiang stationnait 5 heures devant son écran en période scolaire, 8 heures à 10 heures pendant les vacances. «Mes parents étaient inquiets car cela affectait mes études, il m'arrivait de ne pas aller en cours pour jouer», témoigne l'adolescent de 19 ans, encore transpirant après une séance de sport. «Le 25 juillet, ils m'ont dit qu'on partait tous ensemble se baigner au bord de la mer. En fait, ils m'ont emmené ici...». Lors de journées entamées à 6h, les cours, avec «des profs souvent ennuyeux», alternent avec des activités physiques ou manuelles «divertissantes». «Je ne peux pas dire que je m'ennuie ou que je trouve cela intéressant, nous suivons un programme quotidien qui doit me permettre de m'en sortir. Je n'ai pas le choix», concède-t-il. Les chambres des élèves s'avèrent rudimentaires et la grille d'accès à l'étage des enfants est fermée par un épais cadenas. «Certains enfants sont malheureux ici et veulent se suicider», explique une employée. La thérapie de choc ne réussit visiblement pas à tout le monde. Même si l'assistante du centre avoue avoir du mal à trouver un enfant heureux d'être enfermé, tous ne sont pourtant pas négatifs. «Depuis mon arrivée ici il y a deux mois, je me sens bien moins accro aux jeux, même si j'avais au départ du mal à m'en passer », prétend d'une voix douce Qiao Lei, 16 ans. «Surtout, j'aime les activités en groupe que nous avons ici. Je suis plutôt quelqu'un de timide et je n'osais pas forcément parler avec mes camarades, dire ce que je pensais. Maintenant, cela va mieux, je me suis lié avec d'autres élèves». Pour le docteur Tao, l'addiction aux jeux vidéos est avant tout liée à l'éducation, qu'elle soit familiale ou scolaire. Les parents sont donc conviés à vivre au centre non loin de leur rejeton. «Nous leur montrons que son addiction vient souvent d'un souci au sein de la famille», explique le docteur Tao. «Et nous leur apprenons aussi qu'être parent est un véritable emploi». Devant un grand tableau blanc, assis à des pupitres d'écoliers, une vingtaine d'adultes écoutent les propos d'un professeur en chemise grise. «Vos enfants aiment les jeux vidéos car leur design est beau, les jeux sont passionnants mais surtout parce qu'ils veulent se sentir importants, car ils peuvent obtenir des victoires, des trophées qu'ils ne remportent souvent pas à l'école ou auprès de vous. Il faut leur apporter de l'attention». Un homme intervient. «Mais pourquoi mon fils passe-t-il encore son temps à s'énerver contre nous ? Pourtant, je l'aime !» «Oui mais il y a plusieurs années de relation à rattraper, à recoller», lui répond le professeur. «Le temps fera évoluer les choses et son comportement». Cette mère de 39 ans, qui refuse de donner son nom, était inquiète que son fils passe ses journées à jouer sur Internet. Des amis résidant à Pékin lui ont parlé de ce centre, elle a donc décidé de quitter le nord de la Chine et de s'y rendre avec son fils. En deux mois, elle s'est ainsi «rendue compte de problèmes dans ma famille. Depuis, mon fils semble aller mieux, il s'est fait plein d'amis alors qu'il n'en avait pas trop avant». Son mari et elle dépensent 10.000 yuans (1.000 euros) par mois pour lui permettre d'être soigné, nourri et logé. Cette somme équivaut à six fois le salaire mensuel moyen des citadins chinois. Même si le docteur Tao Ran assure offrir de fortes réductions aux familles à faible revenu, ce traitement paraît réservé à une élite. Les autres familles se tourneront vers l'un des centres privés, comme celui de Nanning dans la province du Guangxi où un garçon est mort début août suite aux coups infligés par ses gardiens.