Le changement de week-end a amené le ministère de l'Education nationale à redéfinir l'organisation de la semaine de travail dans les établissements scolaires. D'entrée de jeu, monsieur Benbouzid annonce que l'école algérienne ne prodiguera pas de cours le vendredi car cette journée est sacrée. Que faut-il comprendre par cette sacralité invoquée, sachant qu'en islam, si la prière est sacrée, par contre la journée du vendredi ne l'est pas. Il est intéressant, à ce sujet, de lire la réponse du docteur Anis Ahmad [1] aux orientalistes occidentaux qui s'appliquent à rechercher dans les sources juives les origines de l'instauration par le prophète Mohammed (QSSL) de la prière du vendredi. Il explique la différence fondamentale entre le sabbat des juifs et le vendredi. Voici ce qu'il écrit bien avant le changement de week-end en Algérie: «Il convient de considérer de manière critique l'allégation selon laquelle l'assemblée en congrégation pour la prière du vendredi (salat al-Jumu'ah) puiserait éventuellement ses racines dans le sabbat des juifs (Encyclopédie de l'Islam, 1993, p. 368). Le sabbat constitue pour le judaïsme, philosophiquement parlant, la journée de repos. Aucun travail ou commerce ne doit être effectué le jour du sabbat. Ecrire une lettre ou prendre un avion pendant ce jour serait, traditionnellement, considéré contraire au concept de sabbat. Or les enseignements du Coran favorisent les activités commerciales et industrielles, la créativité et la productivité effectuées le Jumu'ah, dissipant ainsi le mythe selon lequel le jour hebdomadaire de la congrégation est une journée sacrée', consacrée exclusivement au repos et au culte». Le professeur Anis Ahmad continue en citant le Coran pour étayer ses explications: «O vous qui croyez ! Quand on appelle à la Prière, le vendredi, accourez à l'invocation (dhikr) d'Allah et laissez vos affaires ! Cela sera un bien pour vous, si vous vous trouvez savoir. Quand la Prière est terminée, répandez-vous en tous lieux ! Recherchez [un peu] de la faveur d'Allah ! (profits économiques) ! Invoquez beaucoup Allah ! Peut-être serez-vous bienheureux» (Surat al-Jumu'ah 62: 9-10). Il poursuit: «Les injonctions coraniques pressant les fidèles à répondre à l'appel de la prière du vendredi et d'arrêter les transactions entre-temps, les commandent en fait à reprendre leurs activités économiques dès que la prière est terminée». Le Coran est clair, les musulmans doivent travailler avant et après la prière du vendredi. La suppression des cours le vendredi matin répond donc à des considérations étrangères à la religion musulmane. La question du choix du nouveau week-end et du repos du vendredi ayant été scellée et déclarée non négociable, une concertation est organisée par le ministre de l'Education avec les syndicats du secteur pour décider - sans la participation des pédagogues et spécialistes des rythmes scolaires - que la semaine de travail dans l'éducation se réduira à 4 jours et demi. Les 4 heures de l'ancien week-end seront reportées sur les quatre jours de travail pleins, à savoir dimanche, lundi mercredi et jeudi. Ce qui engendrera un alourdissement de la journée considérée déjà comme beaucoup trop longue. Nos enfants auront, dans certaines classes du collège et du lycée, des journées de travail de 7 heures et même de 8 heures, compte tenu des volumes horaires hebdomadaires en vigueur. Ce qui revient à appliquer une journée de travail d'adulte pour un organisme d'enfant. On sait que des journées surchargées sont sources de fatigue pour les élèves, induisant des difficultés de concentration, d'acquisition, engendrant une chute des performances et aggravant l'échec scolaire. Dans les médias on annonce que le secteur de l'éducation bénéficiera de 2 journées et demi de repos. C'est un bénéfice pour qui ? En tous les cas, pas pour les élèves qui auront des journées de classe plus chargées qu'avant au moment où partout dans le monde la tendance est à l'allègement de la journée de classe. Il est clair, la décision de ne pas travailler le vendredi matin ne répond pas à des considérations d'ordre pédagogique. Dans les pays qui ont un système scolaire performant, le volume horaire annuel d'enseignement est réparti sur le maximum de semaines possible pour réduire le volume horaire hebdomadaire et surtout pour maintenir le nombre d'heures de classe par jour inférieur à 6 heures. Les chercheurs spécialistes des rythmes scolaires s'entendent tous sur la nécessité de se concentrer sur l'allègement de la durée de la journée de classe. Ils trouvent que six heures de cours par jour c'est long, surtout pour les élèves en difficulté. François Testu, psychologue chronobiologiste, disait: «L'enfant a besoin de régularité dans son rythme, ce n'est pas la semaine qu'il faut alléger, mais la journée». Tout changement dans le secteur de l'éducation doit se faire selon une approche systémique pour qu'il ait une chance de réussir. Autrement dit, on ne peut porter la durée du week-end à deux jours complets sans agir simultanément sur d'autres facteurs, à savoir les contenus des programmes, les méthodes d'enseignement et d'évaluation, le nombre de semaines de travail par année, le volume horaire annuel d'enseignement et sa répartition sur les différentes matières enseignées. Une meilleure qualification des enseignants est un facteur favorable à la réduction du temps d'enseignement, d'où la nécessité aussi de mieux former et encadrer les enseignants. Faute de procéder à tous ces changements dans l'immédiat, il aurait été plus judicieux, pour ne pas aggraver la surcharge de l'élève, de garder un week-end de un jour et demi en reportant les 4 heures de travail du jeudi matin sur le vendredi matin. Une étude [2] a testé l'influence de la durée du week-end (2 jours ou un jour et demi) sur les performances mnésiques d'élèves de l'école primaire tout au long de la première journée de la semaine, c'est-à-dire au retour du week-end. Les résultats montrent que les performances en mémoire (taux de rappel et profondeur du stockage d'informations) sont meilleures après une interruption d'un jour et demi qu'après une coupure de 2 jours. Nombre de semaines et d'heures de travail par année L'idée de monsieur le Ministre de l'Education d'augmenter le nombre de semaines de travail est intéressante et même incontournable pour s'approcher de la moyenne mondiale en terme de volume horaire annuel de cours, mais surtout pour réduire le temps de travail par jour qui est un facteur déterminant. Néanmoins, cela ne peut être appliqué pour l'année scolaire 2009/2010. En effet, la date de la rentrée scolaire est fixée au 13 septembre et les cours doivent s'arrêter fin mai pour les classes de 5e A.P. et celles du lycée et début juin pour les classes du collège à cause des examens de fin d'année. En enlevant les cinq périodes de vacances, il restera au plus 32 semaines de cours. Ceci sans compter les jours fériés. Pour comptabiliser 35 semaines de travail effectif il faudrait démarrer l'année scolaire le 1er septembre et aller au moins jusqu'au 10 juin. Les pays européens étalent tous leur année scolaire sur plus de 35 semaines exceptée la France, considérée à la traîne dans ce domaine, qui en fait juste 35: à titre d'exemple, au primaire, la Finlande réalise 600 h en 37 semaines, le Danemark 675 h en 40 semaines, l'Italie 890 h en 40 semaines, l'Allemagne 622 h en 39 semaines, la France 840 h en 35 semaines. En comparant, par exemple, les volumes horaires appliqués en France et en Finlande qui est, selon l'enquête PISA (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) sur les acquis des jeunes de 15 ans, championne du monde pour l'efficacité du système scolaire, on se rend compte que les pays qui prescrivent le plus d'heures d'enseignement au fonctionnement de leur système éducatif ne sont pas forcément ceux qui ont les meilleurs résultats. C'est l'usage que l'élève peut faire du temps et non seulement son volume qui détermine l'efficacité pédagogique. A ce titre, le rôle de l'enseignant est décisif dans les choix d'allocation de temps entre les activités et sa capacité à mobiliser l'élève sur la tâche est essentielle. Durée de la séance de cours Le ministère de l'Education a proposé de réduire la séance de cours de 60 minutes à 45 minutes. De quoi s'agit-il ? Un simple découpage du volume horaire de la journée de classe dont la durée reste fixe ne change rien à la surcharge de la journée, même si la réduction de la séance d'activité a une influence positive sur l'attention de l'élève. Par contre, si on vise une réduction de 25% du temps scolaire de la journée, cela pourrait être intéressant dans la mesure où elle permettrait d'alléger la journée de travail de l'élève. Mais cette réduction devrait être conjuguée à l'augmentation du nombre de semaines de travail par année afin d'atteindre le volume horaire annuel requis pour la réalisation de tout le programme. Le changement d'activité, toutes les 45 minutes, permet aussi de maintenir à un niveau élevé l'attention et la concentration de l'élève, sachant que l'enfant ne peut fixer son attention longtemps sans relâchement. Dans tous les pays qui ont un système éducatif efficace, la séance de cours dépasse rarement 45 minutes aussi bien au primaire qu'au collège. La durée de la journée de classe de l'élève doit être réduite le plus possible comme nous l'avons expliqué plus haut, et ne doit pas être conditionnée par le découpage de la journée en séances de 60 minutes ou de 45 minutes. La durée de la séance de cours varie d'un cycle à l'autre. C'est le résultat de la répartition du temps scolaire sur les différentes activités au cours de la journée en fonction des capacités de concentration de l'élève qui dépendent, entre autres, de son âge. Quant au nombre d'heures de cours qu'assure par semaine un enseignant, il est fixé par les textes officiels indépendamment de la durée des séances de cours. Il est de 22 heures au collège et de 18 heures au lycée et il ne doit pas varier en fonction de la durée de la séance de cours. Un enseignant de lycée, par exemple, accomplira sa charge de 18 heures en assurant 18 séances d'une heure ou 24 séances de 45 minutes ou, ce qui est souvent le cas, une combinaison de séances de différentes durées, mais réglementairement ça ne dépassera pas 18 heures. On doit savoir aussi que l'enseignant a d'autres charges telles que les préparations, les corrections de devoirs, la participation aux conseils de classe et aux différents groupes de travail dans sa discipline ou interdisciplinaires,... Répartition du temps d'enseignement par matière Il est intéressant de comparer ce que nous appliquons au cycle primaire en Algérie en terme de répartition du temps d'enseignement par matière à ce qui est pratiqué dans les pays avancés dans le domaine de l'éducation. En Europe par exemple, dans les classes du primaire, la répartition du temps d'enseignement par matière varie d'un pays à l'autre. D'après Eurydice [3] (le réseau d'information sur l'éducation en Europe), le temps maximum d'enseignement ne dépasse dans aucun pays 40% du volume horaire total pour la langue d'instruction, 22% pour les mathématiques, 12% pour les sciences exactes (physique et chimie auxquelles on associe la biologie), 13% pour les sciences humaines (histoire, géographie, instruction sociale et politique, éducation civique), 12% pour les langues étrangères (le Luxembourg constitue une exception, il réserve 39% pour le français et l'allemand, deux langues étrangères néanmoins officielles et seulement 4% à la langue d'instruction, le Letzeburgesh), 15% pour le sport, 20% pour les activités artistiques, 10% pour la religion et la morale. Dans la répartition adoptée en Algérie, on constate par exemple que le pourcentage du temps d'enseignement attribué à l'arabe en tant que langue d'instruction prend, selon les niveaux, jusqu'à 58% du volume horaire globale. Il dépasse de 18% le temps maximum appliqué dans les pays d'Europe pour les langues d'instruction. Par contre, les activités artistiques et le sport constituent les parents pauvres de notre système éducatif; on leur consacre à peine 5% du volume horaire global. Malgré l'importance du volume horaire accordé à la langue arabe, les résultats obtenus dans cette matière restent médiocres. Ceci montre que prescrire plus d'heures d'enseignement à une matière ne donne pas systématiquement de meilleurs résultats. La solution ne réside donc pas dans une augmentation démesurée du volume horaire d'une matière mais plutôt dans le changement de méthode d'enseignement et une meilleure répartition des temps d'enseignement par matière et sur la journée, la semaine et l'année. Il est urgent de revoir l'organisation des rythmes scolaires dans un cadre plus large d'une véritable réforme de l'éducation qui ne peut être que systémique et loin de toute compromission idéologique. D'ores et déjà, pour ne pas alourdir la journée de travail de l'élève qui est déjà trop longue par rapport à la moyenne mondiale, il est indispensable de conserver la semaine de 4 jours et 2 demi-journées, le mardi et le vendredi matin. *Maître de conférences [1] Analyse parue dans l'encyclopédie de l'Islam faite par Anis Ahmad, professeur principal de religion comparative et directeur général, académie de la Dawah, Université islamique internationale, Islamabad, ancien doyen de la Faculté de la Connaissance islamique révélée et des sciences humaines, Université islamique internationale, Malaisie. http://www.isesco.org.ma/francais/publications/Islamtoday/14/P3.php [2] Devolvé, Jeunier, 1999, Effets de la durée du week-end sur l'état cognitif de l'élève en classe au cours du lundi. Revue française de pédagogie, 126, 111-120. [3] htttp://www.eurydice.org