Dans cette présente contribution pour les lecteurs du Quotidien d'Oran, je me propose après plusieurs interviews auprès d'opérateurs privés de toutes les régions du pays de répondre à quatre questions, car il s'agit d'aller sur le terrain loin des bureaux climatisés de nos bureaucrates. Mais au préalable, je voudrai mettre en relief la situation du secteur financier en Algérie, préoccupation centrale des opérateurs. Première question - Quel est la situation actuelle du secteur bancaire algérien ? Selon la banque d'Algérie, fin 2008 nous avons 29 banques et établissements financiers et ayant tous leur siège à Alger dont 6 banques publiques et une mutuelle d'assurance agréée par les opérations de banques, 14 banques privées dont une à capital mixte, trois établissements financiers et deux sociétés de leasing avec 1.057 agences. Cependant, existe une nette concentration au profit des banques publiques du fait que sur un nombre de guichets 1.301 (contre 1.233 en 2007), le secteur privé totalise seulement 244 guichets contre 196 en 2007 ayant donc globalement un guichet pour 26.400 habitants contre 27.400 en 2007. Cette concentration est d'autant plus nette au profit des banques publiques qui, rappelons-le, ont été assainies ces dernières années pour plus de 5 milliards de dollars (les banques publiques étant malades de leurs clients les entreprises publiques structurellement déficitaires), assurant en 2008 la presque totalité du financement du secteur public et 77 % du financement du secteur privé contre 79,4 % en 2007. Il est utile aussi de signaler que récemment, le gouvernement a rétabli l'ancien article 104 de la loi sur la monnaie et le crédit autorisant les banques à entrer dans le capital de leurs filiales, mesure qui avait été interdite depuis le scandale de Khalifa. Donc, l'Etat, au sein des banques publiques, reste prédominant étant à la fois actionnaire, administrateur, dirigeant, emprunteur, déposant et régulateur et ce, bien avant la crise mondiale d'octobre 2008. Ce qui explique depuis plus de deux décennies les différents gouvernements successifs parlent de la réforme bancaire mais cette dernière n'a pas lieu en profondeur car, touchant des intérêts, les banques publiques étant le lieu de la distribution de la rente des hydrocarbures. Rappelons le projet de privatisation partielle de la BDL en 1996 au moment de l'ajustement structurel avec le FMI et récemment l'abandon de la privatisation partielle du CPA. C'est dans cet optique que s'inscrit le fonctionnement de la Bourse d'Alger, une hérésie économique, une bourse totalement étatique où des entreprises publiques potentiellement déficitaires achètent des entreprises déficitaires avec la bénédiction des banques publiques, leurs assainissements entre 1991/2008 ayant coûté plus de 40 milliards de dollars au Trésor public, étant revenues à la case de départ dans leur majorité, donc ce n'est pas une question seulement d'argent. Autre caractéristique fondamentale du fonctionnement du système financier réel algérien, avec les nouvelles dispositions du retrait contraint des banques algériennes du marché y compris le secteur bancaire privé, du financement automobile et de l'ensemble des crédits à la consommation représentant moins de 1,3 milliard de dollars sur 40 milliards d'importation en 2008, selon le rapport officiel de l'ABEF (décembre 2008), qui souligne qu'il n'y a eu que 3 % de ménages insolvables. Pour les voitures, plus de 60 % sont le fait de l'administration et des entreprises publiques non soumis à cette procédure (donc le problème étant ailleurs), risquant de renforcer l'emprise du crédit informel, sphère qui contrôle plus de 40 % de la masse monétaire en circulation avec une intermédiation financière informelle où l'on peut lever des dizaines de milliards de dinars en quelques heures mais avec des crédits d'usure. Deuxième question - Quelle est l'efficacité du système bancaire algérien Les derniers rapports internationaux semblent mitigés, et le changement de cadres juridiques semble constituer un des facteur à l'entrave affaires. Selon le nouveau rapport Doing Business 2010 de la Banque mondiale en matière de climat des affaires concernant les réformes menées en 2008/2009, l'Algérie est classée à la 112e place en matière de facilitation du commerce extérieur sur une liste comportant 121 pays devançant cinq pays pauvres africains, Burundi, Nigeria, Zimbabwe, Côte d'Ivoire, Tchad, avec une très mauvaise note pour le marché financier national qui se voit attribuer un score de 2,8 sur 7 avec la 132e position pour ce qui est de l'efficience et de la sophistication du système financier algérien. De ce fait, la situation du système financier algérien ne peut être isolée de la réforme globale et donc du mode d'accumulation. Aussi, selon ce rapport, l'Algérie doit d'améliorer sa compétitivité du point de vue de la sophistication des affaires (128e place), de l'efficience du marché du travail (127e place), de l'efficience du marché des biens (126e place), du développement technologique (123e place), du point de vue des institutions (115e place), de l'innovation (114e place) et de l'enseignement supérieur et de la formation (102e place) en rappelant le classement des Universités de l'Algérie en 2007 ayant été classées 6.995ème sur 7.000 (baisse alarmante du niveau, les universités devenant une usine de fabrication de chômeurs) par le prestigieux Institut de Schangai. Par ailleurs, selon le FDI Intelligence, une division spécialisée du groupe britannique de presse «Financial Times LTD» de septembre 2009 dans une étude détaillée couvrant 59 pays africains et prenant en compte les critères comprenant les infrastructures, les stratégies visant à encourager les IDE, le potentiel économique, le niveau et la qualité de la vie, les ressources humaines et l'ouverture des marchés, l'Algérie a reculé en matière d'attractivité des investissements directs étrangers (IDE) étant largement devancée par l'Afrique du Sud, l'Egypte, le Maroc et la Tunisie. Le rapport note une détérioration du climat des affaires en 2009 où l'Etat algérien émet des signaux négatifs et contradictoires alors que ces quatre pays ne cessent de faire des progrès dans de nombreux domaines, particulièrement en matière de la promotion de l'investissement privé national et étranger et ce, malgré sa proximité géographique avec l'Europe et ses réserves énergétiques pour attirer davantage de capitaux étrangers n'ayant même pas profité de l'afflux des pétrodollars du Golfe, contrairement au Maroc, Egypte, Turquie et Syrie, le Golfe étant devenu le deuxième émetteur d'IDE après l'Europe et devant les Etats-Unis. A part le secteur des hydrocarbures et lorsque le cours est élevé (car on peut découvrir des centaines de gisements mais non rentables financièrement), et celui des télécommunications, l'Algérie ne semble guère intéresser les investisseurs étrangers. L'entrave aux affaires toujours selon ces deux rapports est due surtout à l'accès aux financements, la bureaucratie d'Etat, la corruption, l'inadéquation de la main-d'oeuvre formée, la politique du travail considérée comme restrictive ainsi que le système fiscal et l'environnement dont la qualité de la vie. Ce qui vient d'être confirmé par une étude réalisée par le célèbre tabloïd anglais The Economist le 10 septembre 2009, une enquête qui mesure, selon plus de 30 indicateurs qualitatifs et quantitatifs, cinq grandes catégories, à savoir la «stabilité», les «soins de santé», la «culture et l'environnement», l'«éducation» et l'«infrastructure», catégories compilées et pondérées pour fournir une note globale variant de 1 à 100, où 1 est jugé intolérable et 100 est considéré comme idéal. La ville d'Alger, malgré toutes les dépenses, a été classée au 138e rang sur les 140 métropoles pour 2009, classement inchangée par rapport à l'année dernière 2008 au même niveau que Dhaka (Bengladesh), obtenant un score de 38,7, l'Algérie devançant la capitale du ZimbabweHarare. Troisième question - Le crédit documentaire (CREDOC) instauré par la loi de finances complémentaire 2009 peut-il être opérationnel face au fonctionnement du système bancaire algérien ? Le système documentaire est une procédure normale lorsque existent des banques qui fonctionnent normalement au sein d'une véritable économie de marché concurrentielle, étant dans cette interminable transition depuis 1986, ni véritable économie de marché, ni économie administrée qui ont leurs propres règles de fonctionnement expliquant les difficultés de régulation économique et sociale et que les banques sont souvent soumises à des interférences politiques et sont actuellement avec leurs lourdeurs bureaucratiques des guichets administratifs qui favorisent l'import au lieu d'être un partenaire actif pour l'investissement productif. D'ailleurs, cela est confirmé par les déclarations officielles du ministre des Finances algérien qui a expliqué que si l'Algérie a été épargnée partiellement par la crise mondiale, elle le doit au fait que le système financier algérien est déconnecté des réseaux internationaux et que le dinar n'est pas convertible, comme s'il fallait s'en réjouir, l'importance des réserves de change étant due à une ressource éphémère, les hydrocarbures, l'Algérie exportant hors hydrocarbures depuis des décennies moins de 3 %. Or, l'efficacité du CREDOC s'inscrit dans le cadre justement d'une connection au réseau mondial de la finance car le temps c'est de l'argent. Quatrième question - Le CREDOC ne risque-t-il pas d'étouffer les PMI/PME majoritaires actuellement en Algérie ? Cette procédure normale sous d'autres cieux risquent d'étouffer le peu d'entreprises opérant sans la sphère réelle et les poussant à aller dans la sphère informelle, dont les PMI/PME qui constituent la majorité des entreprises privées algériennes déjà soumises à d'importantes contraintes bureaucratiques. Car peu d'entreprises sont insérées dans le cadre des valeurs internationales comme le montrent les données au niveau du registre national du commerce pour fin 2008, la structuration des entreprise y compris publiques étant la suivante : -49,90 % personnel -32,14 % SNC -13,32 % SARL -4,64 % SPA dont Sonatrach et Sonelgaz. Aussi, selon mes informations auprès des opérateurs privés, pour la majorité, je ne parle que d'une minorité de monopoleurs qui trouvent avantage auprès des banques publiques, mais que représentent-ils dans la valeur ajoutée du produit intérieur brut du pays, une goutte dans un océan, le Credoc qui vient d'être instauré par la loi de finances complémentaire, ne facilite pas la tâche, du moment qu'on doit payer avant de recevoir la marchandise, sans les moyens de contrôle de la marchandise. Et, en plus, étant contraints de mobiliser le montant de la transaction au niveau de la banque qui garantit le paiement pour le fournisseur, ne pouvant pas dans la grande majorité des cas assumer cette trésorerie d'où les risques de rupture des stocks pour les entreprises n'ayant pas de fonds de roulements importants. Car, la lettre de crédit, pour ces entreprises est coûteuse et profite davantage au fournisseur, le gouvernement invoquant la traçabilité supplémentaire, mais qui ne garantit en rien la possibilité de fraudes. Or, avec un transfert libre, ou de remise documentaire (remdoc), il y a domiciliation à la clé de la même façon que la lettre de crédit et donc enregistrement sur les livres comptables avec transfert et assainissement dans les six mois par la Banque centrale, la lettre de crédit n'étant pas l'antidote du transfert libre, car dans les deux cas de figure des circuits bancaires sont utilisés, connus et répertoriés par les banques. Par ailleurs, toujours selon certaines organisations patronales privées, le crédit documentaire (crédoc), outre qu'il ne garantit en rien les surfacturations invoquées par le gouvernement, ne répond pas à ceux des clients mais aux fournisseurs étrangers qui se retrouvent avec un risque commercial zéro et qui, souvent, ne font pas confiance à la banque algérienne et demande une confirmation de cette lettre de crédit par un établissement bancaire étranger. Enfin, la lettre de crédit répondrait à un risque pays puisque la confirmation vient également annuler toute dévaluation de la monnaie et tout risque de non-paiement lié au transfert d'argent, et donc avec l'application de cette lettre de crédit, l'Algérie serait revenue en arrière. Et là, on revient à l'efficacité du système financier qui a certes des cadres valables qui n'ont rien à envier aux managers étrangers, mais évolue dans un environnement paralysant. Quelle conclusion en tirer ? Un texte juridique que contredit souvent les pratiques sociales, car la société comme l'a démontré avec des enquêtes internationales précises, le grand spécialiste Hernando De Soto, enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner dans une sphère sociale de non-droit et ce, afin de contourner la myopie de certains gouvernants, n'a pas les mêmes effets dans une économie où existe un Etat de droit, la transparence, une économie structurée et un pays comme l'Algérie dominée par le monopole qu'il soit public ou privé et une bureaucratisation étouffant toute énergie créatrice. L'intelligence suppose en cette période de transition difficile de s'adapter aux situations spécifiques en prévoyant des paliers successifs. En fin de compte, tout cela renvoie à l'urgence d'une gouvernance rénovée s'adaptant tant aux mutations sociales internes qu'aux mutations mondiales afin de lutter efficacement contre la corruption, l'insécurité juridique qui sont des phénomènes qui entravent l'émergence d'un climat des affaires transparents en Algérie dont la valorisation du savoir, un système bancaire performant et la réhabilitation de l'entreprise créatrice de richesses, sont l'épine dorsale des réformes et d'un développement durable hors hydrocarbures. *Professeur d'Université Expert International