Le capitalisme privé algérien est-il condamné à passer des pages économiques où l'on étale ses quelques réussites, à celle des chroniques judiciaires où l'on compte régulièrement ses turpitudes présumées ? Il est vrai aussi que des chefs d'entreprises publiques - ceux qui, dans le discours marxisant de l'époque, sont censés être les fonctionnaires du capitalisme d'Etat - les accompagnent parfois dans les prétoires, comme c'est le cas du procès de l'affaire dite SIM-OAIC. Ceux qui ont toujours été circonspects à l'égard d'un capitalisme privé algérien - familial, peu moderne, rarement industriel, dont la réussite est plus sûrement tributaire des ressources politiques que l'on a que des capacités managériales -, ont trouvé dans l'actualité récente des raisons de ne pas changer d'opinion. Cette défiance peut difficilement passer pour une survivance des années socialistes, où l'on a perdu beaucoup de temps à définir et à fustiger la «propriété privée exploiteuse» et parfois à poser la question du «d'où tiens-tu cela ?». Plus personne ne s'amuse à savoir à partir de quel nombre d'employés une entreprise privée est «exploiteuse» ; les plus endurcis du socialisme spécifique de l'époque en sont les premiers revenus. Et beaucoup de ces braves socialistes se sont d'ailleurs reconvertis avec un zèle admirable à la foi «saine et naturelle» de l'économie de marché. D'où vient donc que devant les difficultés économiques ou judiciaires d'entreprises privées, à qui tout semblait réussir, on a la fâcheuse impression de «déjà-vu» ? Il est improbable que l'on puisse atteindre le niveau, somptueusement caricatural, de la «réussite» d'un Abelmoumène Khalifa - qui pourrait être renvoyé prochainement en Algérie par le gouvernement de sa Gracieuse Majesté. Mais dans certaines des affaires récentes, on en redécouvre un peu des relents politiques. Personne ne devrait se réjouir des difficultés rencontrées par la Semoulerie industrielle de la Mitidja ou par le fournisseur internet Eepad. Et s'il ne faut pas préjuger de ce que la justice décidera dans le cas de l'affaire SIM-OAIC ou de l'issue des négociations en cours entre Eepad et Algérie Télécom, il faut espérer que les entreprises seront sauvegardées. Ce qui arrive à Tonic Emballage, autre entreprise privée dont la réussite a commencé par un «coup de pouce financier-politique», mais qu'on laisse aujourd'hui dans les limbes alors que son patrimoine se dégrade, est la pire des issues. Dans ce pays, les liquidateurs sont légion, les repreneurs d'entreprises sont rares, pour ne pas dire inexistants. Ici, au niveau de l'économie comme de la politique, la notion d'accumulation n'existe pas. On est constamment dans la tabula rasa... Par la politique, des entreprises naissent, par la politique, elles en meurent. Il faut bien poser la question : la sphère économique algérienne, privée comme publique, n'est-elle pas malade d'un «trop de politique» qui rend aléatoire la mise en place, ô combien nécessaire, d'un système de droit et de règles communes qui s'impose à tous ? Dans ce domaine, on peut dire que des années «socialistes» aux années «libérales», rien n'a vraiment changé sous l'Algérie de la rente.