Au début, ce n'était qu'une simple commande, à laquelle, je dois l'avouer, je n'avais accordé qu'une attention polie. Comme d'habitude, diront certaines mauvaises langues... Bref, une commande passée par internet, avec force clics sur la souris, vérifications numériques à plusieurs étages, numéro de carte bancaire et trois chiffres identifiants sans oublier, bien sûr, la date de validité. Voilà bien les temps nouveaux. On fait confiance à un catalogue sur écran ou sur papier et l'on attend, espérant ne pas s'être trompé dans les références et priant, gentiment, pour que la livraison se fasse selon le délai promis et dans l'intervalle d'heures choisi. Un matin, je bute sur un carton qui, l'ai-je appris ensuite, était au même endroit la veille mais, comme d'habitude, cela m'avait certainement échappé... Curieux de nature, j'ouvre la chose et en extirpe une étoffe de couleur rouge, plutôt agréable au toucher. C'est alors que l'on m'a demandé mon avis. Instant charnière où toute parole trop vite prononcée pèse lourd, où la moindre inflexion de langage, la plus petite des hésitations, peuvent se payer cher. Qu'est-ce donc ? me suis-je enquis avec prudence. Ah, une housse pour le fauteuil. Bien... Très jolie... Si, si, elle est jolie. Mais... Non, rien, c'est juste que... Enfin, elle est trop rouge, non ? J'ai toujours lu que ce n'était pas bon pour les yeux. Enfin, si c'est ce qui a été commandé, pourquoi pas. Ah bon, ce n'était pas la couleur demandée ? Prune ? Et j'avais dit que c'était une bonne idée ? Sûrement, maintenant, je m'en souviens bien. Effectivement, prune, ce serait plus classieux... Petite parenthèse destinée à rester entre nous : ami lecteur, jamais, ô grand jamais, je n'ai donné mon aval pour une housse de couleur prune ou pour tout autre coloris. Ou alors, j'ai oublié ou bien c'était il y a longtemps... Mais revenons à nos fruits. Une moue et c'était donc reparti. Appel à la plate-forme client où un Mourad de Casa ou de Tunis, alias Hervé, a bien écouté et, se confondant en excuses, noté la doléance, promis que les choses seraient vite réparées, demandé à ce que le carton soit déposé au relais-colis et annoncé, très fier de lui, que la nouvelle housse serait livrée à domicile avant la fin du mois d'août. Dès lors, le dit textile s'est intégré dans la foule de dossiers en cours que le présent chroniqueur doit avoir en permanence à l'esprit au cas très probable où il en serait fait mention de manière impromptue alors qu'il serait en train de ferrailler avec un papier à livrer dans la demi-heure. Quelques jours plus tard, une voix irritée a laissé un message sur le répondeur : « B'jour, chui en bas de chez vous. Y'a personne. J'voulais livrer la couette. J'peux pas repasser l'aprèm, c'est ramadan. Dommage. Bonne journée.» En clair, toujours pas de livraison. Rebelote, appels, discussions avec « Roger », un auvergnat travaillant dans un call-center du l'autre côté de la Méditerranée. Promesse renouvelée, livraison dans trois jours, excusez-nous madame, on va sermonner la société qui assure nos livraisons, de toutes les façons, cette fois-ci, il faudra aller le chercher au relais colis. Une semaine est passée. Nous étions en plein blitz de la rentrée. Un soir, un carton trônait de nouveau dans l'entrée. Un morceau de housse dépassait. Couleur ? Prune, bien entendu. Voilà une affaire réglée me dis-je non sans éprouver quelques doutes. Pourquoi la chose n'était-elle pas déballée, installée ? Je me suis dis que l'objet en question était peut-être labellisé made in China et qu'il risquait de repartir illico presto rejoindre la housse rouge vif. Que nenni, c'était bien la bonne couleur et l'étiquette indiquait une fabrication du côté de chez Maurice, ou du moins de son île (je sais, c'est facile...). Mais, problème, c'était une housse pour un fauteuil à deux places or la commande spécifiait bien une toge à une place. Les batailles téléphoniques ont repris de plus belle. Ça criait, ça s'énervait des deux côtés de la ligne. Mais, ce n'est pas notre faute si vous êtes incapable de passer une commande correctement ! Si on vous demande de bien noter les références, c'est que ça sert à quelque chose, non ? Inévitable indignation. Quoi, comment ? Vous changez de ton, s'il vous plait. Et le respect de la clientèle, alors ? Je veux une housse une place, d'accord ? C'est votre dernière chance. » Il paraît que ces conversations sont enregistrées, c'est qui explique peut-être le changement de ton. Nouvelles excuses, nouvelles promesses. Ah, mais, tout de même. Quand on crie, on est entendu. Il y a trop de gens qui se laissent faire. Qui paie a le droit d'exiger d'être correctement servi. On devrait avoir la housse dans deux jours. Pourquoi tu ne dis rien ? Je me suis gardé de faire le moindre commentaire et j'ai avalé le demi-sourire qui prétendait pendre à mes lèvres. Appelons cela l'intuition masculine ou journalistique. Et bien entendu, vous l'aurez deviné, le nouveau colis a apporté avec lui une belle housse de couleur prune à trois places... Pour faire vite, voici le résumé de la suite. Prise de tête avec Margueritte, officiellement localisée du côté de Roubaix, longue, très longue vérification des références, nouveau retour au dépôt et nouveau retrait, celui de la dernière chance, d'un colis qui, dès le départ, il faut tout de suite le préciser, semblait trop volumineux pour être honnête. La fin de cette histoire ? On ne saura peut-être jamais s'il existe une housse à une place de couleur prune. Par contre, j'attends vous félicitations et mabrouks pour une belle nappe de couleur garance, qui est arrivée avec le dernier envoi... A mes moments perdus, je m'amuserai peut-être à calculer le bilan carbone de toute cette opération. Cela pourrait contribuer à réhabiliter les bons vieux marchés d'antan où l'on ne payait qu'après avoir palpé. Cela étant, si vous savez qui vend des housses couleur prune à une place (et made in n'importe où sauf China), contactez le journal qui fera suivre...