Vers la fin de l'après-midi de jeudi, l'information de l'agression du bus de l'équipe nationale avant son arrivée au lieu de résidence des «Verts», au Caire, a commencé à circuler. Les jeunes du quartier de Saint Pierre au centre-ville d'Oran, totalement absorbés par l'entreprise d'accrocher des drapeaux géants dans les venelles, ont carrément refusé de prendre au sérieux l'information. Certains d'entre eux iront jusqu'à dénier tout crédit à certains journaux on-line qui ont été les premiers à la publier. Cependant, une certaine tension est devenue perceptible chez certains d'entre eux, notamment les aînés. Quelque temps après, les copains se trouvant sur place ont envoyé les premières images prises par leur portable. Là, point de doute, on a admis que les «nôtres» ont été mal accueillis par les hôtes égyptiens. Curieusement, l'incident n'a pas ébranlé cette forte envie de fêter la victoire de l'équipe nationale, quarante-huit heures avant le coup d'envoi du match. Impliquée dans une sorte de concurrence avec les habitants d'une autre ruelle du même quartier, une bande de jeunes avec quelques adultes se mettent à dérouler un drapeau de cent vingt mètres de long. Nous avons relevé leur soin pour que le tissu ne touche pas le sol. Après avoir filtré les automobilistes, ils décideront carrément les voitures d'emprunter la rue devant recevoir cet emblème géant. La tâche de l'accrocher durera jusqu'aux environs de vingt-deux heures. Une dizaine de mètres plus loin, c'est exactement le même scénario qui se répète. On nous indique que ce drapeau, apparemment le plus long installé à Oran, a coûté plus de 10 millions de cts, somme fruit d'une cotisation des habitants de la rue. Relevons que cette nouvelle occupation des habitants des quartiers remémore étrangement les années quatre-vingt quand les Algériens ont découvert la parabole collective et se sont passionnés par son installation. Remarquons aussi que cette tâche a été l'oeuvre exclusive des mâles. Certes, des jeunes filles, notamment des fillettes ont assisté en spectatrices. Mais, à aucun moment, elles n'ont mis la main à la patte. Pourtant, cette tâche a une certaine dimension intégratrice puisque les garçons y ont participé presque à pied d'égalité avec les adultes. Ailleurs, malgré l'information de la blessure de certains camarades de Saïfi, les automobilistes ont continué les cortèges avec klaxon. En manque de slogans ou de chants, des bandes de jeunes, drapés des couleurs nationales, se contentent de scander des sortes d'onomatopées. Ce qui a fait dire à un passant que «ça relève d'avantage de l'hystérie collective que de l'air de fête». Quant aux marchands des maillots, de chapeaux et brassards aux couleurs nationales, ils ont continué leur business puisque la demande ne s'est pas tarie. On nous affirme que la même chose s'est produite dans l'ensemble des villes. Après les voitures et les embouteillages qu'elles ont créés, des bandes de jeunes ont investi la ville, en quête du nouveau concernant leurs idoles se trouvant désormais entre les mâchoires du lion en Egypte, et pour confirmer leur volonté de fêter. C'est étonnant, ils ont pratiquement agi en victorieux. Ils ont précédé les déclarations des joueurs qui ont affiché davantage de volonté de relever le défi malgré le choc subi à l'entrée de l'hôtel. A croire que le public et son équipe sont exactement sur la même longueur d'ondes. Notons que c'est dans les quartiers populeux de nos villes que la mobilisation pour l'équipe nationale a dépassé toutes les prévisions. A Oran, par exemple, au niveau de Saint Hubert et son prolongement Cité Emir Abdelkader, à part quelques drapeaux barrant quelques routes, on n'a pas relevé le même enthousiasme. Ce qui fera dire à un sociologue que la sociabilité, découlant de la proximité et l'identité des conditions d'existence, dans les quartiers populeux est plus prégnante. L'exemple d'un quartier démuni de la ville de Sidi Bel-Abbès où les habitants ont accroché un drapeau long de plusieurs centaines de mètres va dans le sens de cette hypothèse. Un autre, réfutant l'explication d'un sursaut du sentiment national, en se référant notamment au passage presque inaperçu du dernier anniversaire du premier Novembre, se contentera par expliquer cette passion des habitants des quartiers populaires pour le drapeau par une nouvelle forme d'appropriation pacifique et surtout festive de l'espace public. Relevons au passage que l'Université algérienne a été encore une fois surprise par un phénomène de foule, ce qui confirme l'idée de son extériorité par rapport à la société. Jusqu'ici, elle n'a produit aucune réflexion sur la passion de ses jeunes ni pour le foot ni pour l'emblème national associé aux succès de leur équipe nationale. Ailleurs, le phénomène a été largement appréhendé et depuis des années déjà.