Il est des personnages de la vie quotidienne qui feront l'admiration, qui interpellent, qui, chaque matin que Dieu fait, et sans le vouloir pourtant, nous donnent une leçon de courage, d'abnégation et de sacrifice. Elle était de ceux-là... Forte, la cinquantaine bien sonnée, fière de sa personne qu'elle tentait, tant bien que mal, de préserver des turpitudes de l'existence, cela surtout depuis que son défunt mari qui, abreuvé de malheurs et à la faveur d'une bronchite mal soignée, l'a quittée, lui faussant ainsi compagnie en l'affublant par la même occasion de cinq mioches, tous pas plus grands les uns que les autres, comme s'ils étaient nés le même jour, cinq petites âmes gentilles au possible, mais tellement portées sur le quignon de pain que la pauvre Aïcha, n'en pouvant mais, s'engagea, sur le conseil d'une voisine, dans le circuit de la contrebande bien rodée des bibelots et fanfreluches de tous ordres. Ce commerce clandestin-légal qui la poussa, du jour au lendemain, à fréquenter les aéroports, les mégalopoles européennes, les quartiers populeux et populaires, le monde interlope de Rome, Damas, Ankara et d'ailleurs. Aïcha se donnait corps et âme à sa petite occupation, faisant du même coup le bonheur de sa petite famille, se risquant à des missions impossibles, chaque fois plus dangereuses. Toute sa vie était ainsi dédiée à sa noble tâche : nourrir et élever sa progéniture de plus en plus exigeante... En bonne «Aïni post-indépendance» , Aïcha avait appris à détourner les regards des policiers très pointilleux sur le cabas. Elle avait aussi retenu toutes les feintes et astuces de la parfaite «djoundia» , comme elle aimait à s'appeler. Dans toutes les situations délicates, elle réussissait toujours à tirer son épingle du jeu. Certes, Aïcha faisait le bonheur de «gros bonnets» de ce «bizness» très juteux, mais cela, elle préférait ne pas le voir. Ce qui comptait pour elle, maintenant et toujours, c'était sa nichée dont elle se targuait d'assurer le bonheur, fût-il «un bonheur simple et sans histoire».