1ére partie «Il est des hommes devant lesquels on passe indifférent, ils meublent l'espace de leur fatras d'apparence, ils sont comme des torrents violents qui charrient des épaves de sentiment», disait Charles Dobzynski, un écrivain polonais du XXe siècle, à propos de la méchanceté d'une catégorie d'hommes, comparée à la bonté universelle et avérée du poète et militant turc, nommé Nazim Hikmet, mort dans les geôles de la dictature des généraux de l'époque (1). La prestigieuse Coupe du monde de football a pour but de rassembler les gens de tous les coins du monde afin de partager des moments d'émotion, de découvrir l'autre et surtout de fraterniser. Ainsi, en temps de paix, les nations se mesurent à travers les compétitions sportives internationales, pour se faire connaître à l'échelle planétaire d'une part, et glaner avec mérite quelques prestiges, d'autre part. Toutefois, le pays organisateur de la phase finale de cette coupe va profiter de retombées touristiques, donc économiques, indéniables. C'est le cas du pays de Madiba (2), l'Afrique du Sud, en juin 2010. Il le mérite bien ! Et nous en sommes d'ailleurs ravis. Vous n'êtes pas sans savoir que la qualification à la Coupe du monde nécessite obligatoirement des tournois éliminatoires organisés entre les nations désireuses de participer à la phase finale. Dans le continent africain, l'Algérie et l'Egypte devaient se rencontrer trois fois de suite afin de désigner l'heureux élu... Le sort en a décidé ainsi ! Au soir du 18 novembre 2009, les clameurs se sont tues, les lampions se sont éteints au stade de Khartoum. Il y a eu un vainqueur, l'Algérie, et un vaincu, l'Egypte, dans une partie tout à fait sportive au sein de l'arène. C'est juste intéressant pour les amateurs de la balle ronde, mais c'est quand même exceptionnel, car tous les quatre ans nous vivons cet évènement grandiose mais planétaire, me diriez-vous. Il y a des gagnants et des perdants, des supporteurs tristes et d'autres heureux, le sport est ainsi fait. Ainsi vogue le football, le sport le plus populaire du monde. Mais seulement voilà: les trois manches du tournoi entre les deux équipes nationales n'ont malheureusement pas eu lieu comme prévu, car d'autres faits extra-sportifs graves ont pénétré et gangrené la sphère sportive et ont par la suite provoqué des incidents violents impardonnables. Ces derniers ont engendré une crise diplomatique et politique entre deux pays africains et arabes, dits «pays frères», qui persiste jusqu'à l'heure actuelle. On se demande alors: quels sont les responsables de cet «imbroglio» politico-sportif ? Est-ce la FIFA, l'Algérie ou plutôt l'Egypte qui porte la responsabilité de cet évènement? En toute modestie, nous allons analyser les faits avérés et situer les responsabilités de chacun. Ceci, avec objectivité. Notre humble avis pourrait éventuellement servir à clarifier une situation qui paraît, aujourd'hui, on ne peut plus confuse et inextricable. En effet, il faut commencer d'abord par effectuer le déroulement des faits de façon chronologique, afin de bien saisir les tenants et les aboutissants de cette affaire. En premier lieu, au mois d'octobre 2009, le club Algérie reçoit l'équipe égyptienne au stade Tchaker à Blida, pour disputer la première rencontre. L'équipe visiteuse est reçue avec des bouquets de fleurs à l'aéroport international Houari-Boumediène d'Alger (il faut dire que la réputation de l'hospitalité des Algériens n'est pas à démontrer). Le match s'est très bien passé, sans aucun incident à l'intérieur du stade, comme à l'extérieur. Les Fennecs ont battu à plate couture les Pharaons par un score lourd de trois buts à un, en toute sportivité. Dans les règles de l'art. Les délégués de la FIFA et ceux de la CAF sont présents, bien entendu. Ce soir-là, les joueurs algériens sont euphoriques, alors que les joueurs égyptiens sont méconnaissables sur le terrain. D'autant plus qu'ils sont doubles champions de la Coupe africaine des nations (CAN). Est-ce dû à un problème de tactique appliquée ou autre chose ? Car leur système de jeu a volé en éclats. En tout cas, les Algériens sont plus organisés et beaucoup plus volontaires que leurs adversaires du jour. Bref, plus entreprenants et plus vifs. En deuxième lieu, le 12 novembre 2009, l'avion spécial d'Air Algérie atterrit à l'aéroport du Caire, avec à son bord tous les joueurs sélectionnés, le staff technique et les principaux membres de la FAF, avec à leur tête le président de la fédération. Y compris la chaîne de télévision française «Canal-Plus». L'hôtel réservé se trouve à un jet de pierre (sans jeu de mots) de l'aéroport. Au cours du court trajet du bus, qui en principe devait les ramener à l'hôtel tranquillement, un traquenard les attendait: une pluie de cailloux s'abat sur le bus, lancés par un groupe d'individus embusqués sur le chemin, blessant gravement trois joueurs et un entraîneur-adjoint. Ceci est le premier acte de violence. Le second acte, plus pernicieux celui-là, est de provoquer un vacarme assourdissant devant l'hôtel pour empêcher les joueurs de dormir et de récupérer. Ce bruit infernal a duré jusqu'à deux heures du matin. Les délégués de la FIFA, ramenés sur les lieux, ont pris note de l'agression caractérisée, afin de rédiger leurs rapports, en vertu des règles et des lois qui régissent cette association sportive internationale. Pourquoi ça ? dites-vous. Le but recherché et prémédité du guet-apens est de démoraliser les joueurs, qui d'ailleurs possèdent un mental d'acier, par un traumatisme psychique, et les user sur le plan physique et moral. Voilà dans quelles conditions s'est déroulé le match-retour au stade du Caire, à la date prévue. Inutile d'ajouter que les supporters des Verts furent la proie d'une population hystérique pendant leur séjour au Caire: agressions physiques, insultes et injures fusaient de partout dans les rues du Caire. Malgré tout, la rencontre a lieu le 14 novembre dans le chaudron de la capitale égyptienne. Les Guerriers du désert ont résisté vaillamment aux assauts des Pharaons jusqu'à la quatre-vingt-seizième minute, bien qu'affectés et affaiblis par la violence de l'accueil «chaleureux» réservé par leurs «frères arabes et musulmans», pendant leur court séjour. Ils ont limité les dégâts en perdant par un score de deux à zéro. Par conséquent, un match barrage est décidé par la FIFA, comme le stipulent les règlements. Le lieu choisi par l'Egypte est désigné par la FIFA: Khartoum, la capitale du Soudan, pays voisin du premier et partageant le fleuve du Nil. La date est fixée au fameux 18 novembre de la même année. Une date historique pour le football algérien ! Pendant ce temps, le reportage filmé par Canal-Plus, concernant le caillassage du bus et le tapage nocturne du 12 novembre a fait le tour du monde grâce à la toile virtuelle. Alors, un vent de sympathie extraordinaire a soufflé à travers le monde entier, en faveur de l'Algérie. Jeunes et moins jeunes, sportifs et non sportifs, hommes et femmes ont scandé haut et fort: «One, two, three, viva l'Algérie». Les drapeaux vert-blanc-rouge en main, la jeunesse a défilé dans les rues de plusieurs villes du monde entier. Citons de mémoire quelques villes: Gaza, Jéricho en Palestine, Harlem à New York, Montréal bien entendu, Londres, Tunis, Rome, Paris, Marseille, Oujda, Casablanca, Lyon, Khartoum et même Sydney ! Enfin, la liste est longue. Cette manifestation internationale de sympathie et de solidarité a duré pendant plusieurs jours. Pour l'anecdote, l'artiste franco-marocain Jamel Debbouze, en visite de travail en Tunisie, a fait une sortie télévisuelle très cocasse. En effet, il sort de sa poche le drapeau tricolore algérien et dit: «Au fait, il n'y a pas d'Egyptiens aux alentours. OK, one two, three, viva l'Algérie ! C'est parce que je me rappelle de mes origines algéro-irlandaises !» dit-il. En Algérie, le lendemain du match du Caire, la population algérienne dans son ensemble, particulièrement la jeunesse, est sortie dans les rues des villes pour défiler et soutenir les Verts, en scandant: «One, two, three, viva l'Algérie». Plus encore, cette merveilleuse jeunesse demande au Président de la République de rejoindre les Verts à Khartoum, afin de les supporter lors du match d'appui, fixé au 18 du même mois. C'est-à-dire dans 72 heures. Le message est entendu et compris cinq sur cinq par la Présidence, et la grande décision est prise: en un temps record de 48 heures, les avions d'Air Algérie et ceux de l'ANP ont déversé plus de dix mille (10.000) fans algériens à l'aéroport de Khartoum ! Ceci, en 52 vols. Du jamais vu. Une agréable surprise attendait les Algériens: un accueil franchement chaleureux est exprimé par la sympathique population de Khartoum en soutenant les Verts et leurs supporters. En un mot, leur hospitalité et leur soutien sont juste grandioses et inoubliables. Un grand merci à ce peuple arabe ! Enfin, le fameux match décisif a lieu dans un cadre totalement sécuritaire. En effet, des milliers d'agents de sécurité sont mobilisés pour assurer le bon déroulement de la rencontre d'appui. Le stade d'Oum-Dourman est plein comme un oeuf: dans les tribunes les supporteurs égyptiens avec leurs drapeaux et le reste, que dis-je, tout le reste du stade, à savoir les gradins et les virages sont ornés de couleurs de l'emblème national, porté par les fans algériens et les fans du jour soudanais ! Les Verts, soulagés d'avoir échappé à l'enfer du Caire, réconfortés par l'accueil chaleureux - le mot est faible - des citadins de Khartoum, ont retrouvé l'ambiance de Blida dans le fabuleux stade d'Oum-Dourman. Le soutien indéfectible des fans verts a élevé immensément le moral des Guerriers du désert et va leur permettre d'exprimer leur talent sur le terrain, en toute confiance. L'ultime manche n'est pas facile,car chaque équipe s'est bien préparée sur les plans technique et tactique pour se qualifier, à armes égales, à la phase finale de la Coupe du monde. Bien plus, un pays ira représenter immanquablement l'autre dans la prochaine phase. Le terrain de jeu est cette fois neutre. L'expérience des joueurs du delta du Nil et leur fond de jeu indéniable n'ont pas suffi pour percer la muraille de la défense des Fennecs. Bien au contraire, la combativité, la hargne de vaincre et le talent des Guerriers du désert a fini par briser tous les espoirs des Pharaons lorsque, sur une passe judicieuse de Karim Ziani, le valeureux chevalier du ballon rond, Antar Yahia, embusqué, a fusillé avec un tir puissant, rageur et foudroyant les bois du gardien, qui, surpris comme tout le monde, n'a rien vu passer. Ce bolide de la victoire a lieu à la quarantième minute de jeu. Quant au reste du temps, on observe quelques velléités d'attaque du camp adverse, contrées par une défense imperméable et un gardien des grands jours, nommé Chaouchi. La partie footballistique intense se termine finalement aux quatre-vingt-quatorzième minutes au profit cette fois des Verts. Le public est aux anges, car ce dernier a supporté son «team» pendant toute la partie, et de quelle manière ! Il en a d'ailleurs l'habitude. A partir de cette date, les Algériens ont pour idoles les Verts, dignes successeurs de l'équipe mythique des années 80. Ils doivent être fiers du parcours époustouflant de leur équipe tout au long des éliminatoires des qualifications de la Coupe du monde et de la Coupe d'Afrique des nations. L'Algérie et différentes parties du monde sont en liesse; ils fêtent l'heureux évènement sportif. «Le petit poucet a battu l'ogre», «David a vaincu Goliath», dit-on. Ainsi raconte l'Histoire, car celle-ci joue des tours au plus malin. À Montréal par exemple, cinq mille (5.000) personnes ont fêté l'exploit sportif de fin d'année. Fait remarquable: ce sont des gens d'origines diverses: des Maghrébins bien entendu, des Palestiniens, des Libanais, des Québécois et d'autres gens ont participé spontanément à la fiesta en bravant le froid, dans le quartier Saint-Michel et au centre-ville. En famille SVP ! Le bonheur est à son comble pour durer toute la soirée. Quant aux Egyptiens, à la lumière de leur élimination de la Coupe du monde par les Algériens, ils doivent méditer à l'aide d'une citation cornélienne qui nous rappelle: «Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années»(3). Sportivement parlant, bien évidemment ! Voilà la description sportive et chronologique de l'évènement. Cependant, il est impératif de commenter aussi la crise politique et diplomatique entre les deux pays, qui a débuté le 12 novembre 2009 et qui occupe la scène politique jusqu'à nos jours. Pourquoi alors la classe politique au pouvoir de l'Egypte d'aujourd'hui, les médias à travers leurs différents réseaux et la population égyptienne se sont-ils acharnés à vilipender, insulter, injurier toute l'Algérie, en remettant en cause son Histoire récente et lointaine, par des arguties et des balivernes de bas étage ? On se demande aussi pourquoi sont-ils arrivés jusqu'à porter atteinte aux symboles de la nation algérienne que sont l'emblème national (brûlé par les avocats du barreau du Caire), les martyrs de la Révolution, qui a pourtant marqué l'Histoire du XXe siècle ? Pourquoi avoir commis l'agression caractérisée au soir du 12 novembre sur une équipe de football ? Bref, pourquoi tout ça ? «Les injures sont les raisons de ceux qui ont tort», disait Nietzsche. Nous ne saurions répondre correctement à cette avalanche de questions si l'on n'établissait pas l'état des lieux de ce pays, sur les plans politique et social. Il est vrai que de par son Histoire, ce pays, légué par les Pharaons antiques, appartient plutôt à la région du Moyen-Orient que celle de l'Afrique. Ceci dit, sur les 81 millions d'habitants vivant sur son territoire, les deux tiers vivent dans le delta du Nil et le long du fleuve. Une vallée certes riche, mais très insuffisante pour subvenir aux besoins énormes de cette population en général paupérisée par la croissance démographique galopante et l'inégalité criarde de la distribution de la richesse, provenant du tourisme, l'agriculture et la rente du pétrole, essentiellement. A suivre · Enseignant Montréal Bibliographie: 1- Anthologie poétique de Nazim Hikmet. 2- Madiba: nom affectueux du Président Nelson Mandela, fils de l'Afrique. 3- Corneille: Le Cid. Tragédie.