L'Algérie est qualifiée pour la CAN et la Coupe du monde. Mais elle est éliminée de toute compétition médiatique. Deux offensives d'envergure ont été lancées à l'occasion de la coupe d'Afrique des Nations de football qui se tient en Angola jusqu'à la fin du mois de janvier. Mais ces attaques ne sont ni militaires ni sportives. Il s'agit de plans de campagne lancés par la chaîne qatarie «Al-Jazeera Sports» et son homologue «Nessma TV», en vue de s'installer dans le paysage médiatique maghrébin et arabe. «Al-Jazeera Sports» a mené les choses en grand, dans le cadre d'une campagne très élaborée. La chaîne vise tout simplement à se placer en situation de quasi-monopole pour la diffusion du football dans la sphère arabophone, supplantant le bouquet «ART» du milliardaire et prince saoudien Cheikh Salah. L'offensive d'Al-Jazeera Sports a commencé depuis qu'il était apparu que le marché arabe ne pouvait supporter deux concurrents dans le domaine de la télévision sportive. Le même phénomène avait été observé pour l'espace francophone, où Canal Satellite a fini par racheter le bouquet TPS. Al-Jazeera a alors négocié, et fini par acquérir au prix fort, près de trois milliards de dollars, les droits détenus par ART. Si on y ajoute les droits pour les prochaines compétitions internationales (coupe d'Europe, Champion's League, coupe du monde), l'investissement d'Al-Jazeera paraît gigantesque. Risqué, affirme même un spécialiste, qui estime que le marché arabe risque de ne pas être rentable avec l'explosion des droits de télévision. Selon lui, le marché arabe compte 30 à 40 millions de foyers, dont une bonne partie, en Afrique du Nord, de l'Egypte au Maroc, en passant par le Soudan et l'Algérie, ne peut pas acquérir les cartes Al-Jazeera. Mais la chaîne qatarie n'en a guère tenu compte. Elle a poursuivi son offensive à l'occasion de la coupe d'Afrique, en travaillant sur deux volets. D'une part, tout le personnel d'Al-Jazeera a publié affiché son soutien aux arabes équipes qualifiées. Prônant une arabité sans faille, tout intervenant sur la chaîne devient supporter de l'équipe arabe présente sur le terrain, au risque de créer un malaise: le chauvinisme a fait son apparition de manière ostentatoire. D'autre part, la chaîne a recruté des commentateurs de chaque pays arabe qualifié, et les a chargés de suivre leur équipe nationale. Ceci a permis de créer un phénomène d'identification. Pour les téléspectateurs algériens par exemple, Hafidh Derradji sur Al-Jazeera Sports, c'est l'ENTV avec des moyens techniques plus performants. Il reste juste à savoir comment Al-Jazeera Sports va gérer un éventuel match Algérie-Egypte en demi-finales. Al-Jazeera Sports a également décidé d'offrir une fleur au public arabophone, pour le séduire et le fidéliser. La chaîne a choisi de diffuser en clair tous les matches des équipes arabes engagées en coupe d'Afrique. Les matches des équipes africaines non arabes restent, quant à eux payants, alors qu'à priori, les spectateurs du sud du Sahara sont encore plus pauvres que ceux d'Afrique du Nord. Quant à «Nessma TV», qui émet à partir de Tunis, malgré des objectifs plus modestes, elle a lancé une campagne très séduisante. A «Nessma», on est supporter des équipes maghrébines d'abord, arabes ensuite. Et, pour dire les choses clairement, on y préfère la Tunisie et l'Algérie d'abord, l'Egypte ensuite. Dans le fameux conflit à propos du match du Caire, «Nessma» avait pris fait et cause pour l'Algérie. Ce choix n'est évidemment pas gratuit. Nessma, propriété du groupe tunisien Karaoui, associé à un autre investisseur tunisien et à l'une des sociétés du Premier ministre italien Silvio Berlusconi, vise un public maghrébin jeune, à cheval sur les deux langues, arabe et français, conformément à cette vision qui veut que les Maghrébins ont une langue bien à eux, modelée par le temps, grâce à un mélange «francarabe». Nessma n'a pas lésiné sur les moyens. Une soirée foot est organisée depuis le début de la compétition, avec des plateaux très séduisants, incluant footballeurs de renom et entraîneurs chevronnés, mais aussi des comédiens, des chanteurs et des experts. A l'exception de quelques débordements chauvins et des longueurs sur certains thèmes, les soirées Nessma, destinées à un public amateur de football, sont très réussies. Par ailleurs, ces campagnes de séduction se poursuivront jusqu'à la coupe du monde, car l'enjeu politique, médiatique et financier est énorme. L'Algérie, seul pays arabe qualifié à la phase finale de la coupe du monde, sera au centre de cette bataille. Son équipe nationale est devenue le produit le plus demandé par les publicitaires dans cette région du monde. Mais les télévisions algériennes seront absentes de ces batailles où son image est en jeu. Les trois chaînes algériennes continuent de diffuser les mêmes images vieillies, dans un décor de théâtre de troisième catégorie. Elles n'ont pas encore assimilé les nouveaux concepts des émissions de télé, et ne veulent apparemment pas changer. La bonne volonté affichée par les animateurs n'y peut rien : une télévision, c'est beaucoup d'imagination, du talent, de l'argent, et un environnement adéquat. Cette gestion des trois «uniques» chaînes algériennes est devenue un handicap pour le football algérien. Car dans le monde entier, la télévision est devenue la première source de financement du football. Les groupes arabes ne s'y sont pas trompés, eux qui achètent les droits pour toutes les compétitions. En restant pauvre, l'ENTV oblige, d'une certaine manière, le football algérien à rester pauvre, et l'empêche ainsi de progresser. Si au moins l'ENTV se décidait à garder sa pauvreté pour elle !