C'est encore là une histoire de Chalachou, un père de famille si soucieux du lendemain grisaillant de ses rejetons qu'il oublie de leur acheter des bananes costaricaines quand ils ont besoin d'un petit quignon de pain du bled, fût-il le plus immangeable des croûtons. Alors pour noyer son passé encombrant dans le récipient troué de son présent trop «débordant», Chalachou veut remiser derrière son dos trop pointu son «statut» ruinant de cigale pour mettre toute son oseille dans la main gauche de sa douce moitié, réputée moins dispendieuse, dans son rôle presque «naturel» de fourmi besogneuse. Les jours défilant, Chalachou se rend à l'évidence apoplectique que le miracle de quelques maigrelettes économies n'est jamais possible dans un pays où manger de la viande une fois l'an revient déjà à écoper une felouque qui prend les eaux avec une cuillère à café Avec le temps qui passe et l'âge qui ravage, Chalachou travaille encore plus dur pour faire, rêve-t-il à l'état éveillé, accéder sa famille au rêve (jamais assouvi) de la dolce vita made in sidi Bouzhour. Chaque mois, l'argent qu'il gagne à trimer comme un forçat, Chalachou le dépose dans les poches à fermeture éclair de sa femme, la fourmi. Ses rêves grossissant avec l'argent thésaurisé par sa femme trésorier en toque et trop honnête pour travailler chez l'Etat, Chalachou emprunte un gros magot à sa banque du coin pour le déposer par sacs entiers dans la bourse cousue de fil blanc de sa femme nourricière. Mais pour Chalachou, l'appétit ne vient pas en mangeant mais en voyant ses mains baladeuses grandir plus vite que son ventre. Il pense alors mettre la main dans la caisse (ouverte aux quatre vents, pensait-il) de la société qui l'emploie en chipant un bon magot qu'il cache sous la douce aisselle de sa trésorière domestique. Et le jour que Chalachou attendit toute sa vie arriva enfin pour donner un corps sans âme à tous ses rêves inaccomplis: acheter en priorité une villa cossue juchée au sommet du bled de Cocagne puis un bolide à douze roues géantes roulant plus vite que le vent, faire avaler chaque jour dix beefsteaks à chacun de ses rejetons, et cacher l'argent restant dans une banque en bois L'histoire dira ensuite que la femme de Chalachou, décédée de mort (sur) naturelle, léguera à son preux époux éploré un hiéroglyphe posthume qui sera placardé sur tous les murs du village: «Pour moi femme de Chalachou, la mère nourricière et l'épouse puissante et (in) fidèle, avant de tré (passer), j'ai passé ma vie à comprendre s'il fallait porter le pays dans son cœur, le cacher dans mon ventre ou carrément le mettre en entier dans mes poches sans fonds. Avant de casser ma tirelire en mille et un morceaux, j'ai choisi mon camp et j'ai fermé les yeux en fredonnant le souffle coupé: malgré tout et tous bladi nebghik !».