Imaginez: un pays avec une vraie télécommande. Un show sur Rebrab TV. Un spectacle style Ushuaïa sur Mehrinetwork. De l'info continue sur Ouarsenis Movies. L'APW de votre wilaya en live sur la chaîne de votre wilaya. Des acteurs algériens, des présentateurs, des stars, du show et si peu de propagande que Bouteflika devra acheter de l'espace publicitaire pour faire diffuser ses discours. Est-ce possible ? Oui. Quelques Algériens ont de l'argent, d'autres ont des idées, les deux ont envie de regarder leur télévision comme si elle était leur télévision. C'est possible, à deux conditions: un, une vraie élection présidentielle avec un âge plafond de quarante ans et un programme autre que l'autobiographie. La seconde condition est plus difficile: il faut être Mauritanien. Car le président de ce pays vient de décider de libérer le champ de l'audiovisuel et a demandé aux deux chaînes publiques de son pays d'arrêter de faire l'éloge du président et de s'occuper de ce que dit, veut, attend le peuple. Belle leçon venue d'un pays que l'Algérie officielle traite comme une ancienne daïra régionale devenue wilaya indépendante. Dans le Maghreb, il ne reste presque que nous avec l'obligation d'une télé socialiste au service d'un père du peuple désigné. Dans le monde, il reste nous, la Corée du Nord, la Birmanie, la planète Oui-oui. En Algérie, il ne reste que des restes du peuple à regarder l'ENTV avec sérieux. Cette unique chaîne publique, soeur jumelle du parti unique de l'Alliance, du syndicat unique, offre un curieux spectacle auto-exotique inconcevable. Explication: elle vous offre à voir un pays étranger qui est le votre pendant que vous y viviez justement comme si vous veniez d'y arriver. C'est une sorte de caméra dont l'œil obséquieux est tourné vers ses propres entrailles. D'où cette tendance de l'ENTV à remercier son personnel «qui s'est sacrifié» quand il fait son boulot, d'offrir des émissions d'humour avec des blagues qui remontent au clivage des années 70 ruraux/urbains, de limiter le rire à des plaisanteries sur la goinfrerie, et à parler du président comme d'un Boumediène qui n'est jamais mort. Pire encore, comme le nota un ami du chroniqueur, l'ENTV possède sa propre langue qui n'est ni du français banni, ni de l'arabe classique, ni de l'algérien. Une langue ENTV pure et dure venue d'un mélange entre une matraque et une notice de médicament. Vous pouvez en effet écouter El Jazeera et comprendre que, véritablement, l'ENTV ne parle pas l'arabe classique, ni aucun arabe connu ou langue partagée. L'autre affreuse réalité non filmée est que l'ENTV n'est ni privatisable ni publique. Quand on a voulu la diversifier, on a fait comme pour l'alliance présidentielle: on a pris trois partis pour fabriquer un parti unique. Pour l'ENTV, on a pris une TV unique pour la photocopier en trois. L'autre paradoxe est que cette chaîne n'est pas publique. Et elle n'est pas privatisable, c'est Bouteflika qui l'a dit. C'est une entité territoriale comme la Palestine future. Que faire donc ? Au choix: zapper, pirater, regarder les étoiles chaque 20 heures, aller à la mosquée, acheter un DVD, traverser la mer avec un câble. Une dernière solution serait d'aller en Mauritanie. C'est un pays pauvre mais de plus en plus libre. Le contraire de l'Algérie.