Le khimar est devenu un enjeu politique. Un enjeu qui en cache d'autres, peut-être beaucoup plus importants: un cas d'école de la diversion politique. Les uns y voient une atteinte aux libertés. Les autres y décèlent une attaque contre leur foi religieuse ou leur intimité. Pendant que les premiers dénoncent ce qui constitue, à leurs yeux, une procédure liberticide et illégale, les seconds insistent sur ce que cela implique pour leurs croyances, en s'enfermant dans une lecture stricte des préceptes religieux. C'est dire que, face au même évènement, les réactions peuvent être totalement différentes, selon qu'on se place sous l'angle de la modernité, ou qu'on s'accroche à ce qu'on croit être des dogmes immuables. Ce clivage s'est de nouveau confirmé avec les réactions enregistrées face aux procédures mises en place par le ministère de l'Intérieur pour l'établissement du passeport biométrique et de la nouvelle carte d'identité. Même si les réactions enregistrées dans les deux camps sont toutes hostiles aux nouvelles procédures, elles se fondent sur une approche différente, avec une vision opposée de la société, et des argumentaires totalement différents. Les courants islamistes, entraînant avec eux les courants conservateurs et traditionalistes au sein de la société, ont mis en avant des arguments religieux et ce qu'ils considèrent comme des dogmes immuables (thawabite) de la société algérienne. Imposer à la femme une photo dans laquelle les cheveux seraient visibles relève de l'interdit absolu, disent-ils. En conséquence, ils ont violemment attaqué le ministre de l'Intérieur, M. Yazid Zerhouni, qu'ils accusent de vouloir passer outre un principe sacré de la religion musulmane. Face au vide officiel, la campagne s'est développée, englobant des associations, des partis et des personnalités connues pour leur interprétation figée de la religion. Des partis islamistes, de nombreux imams, et des personnalités, comme Abderrahmane Chibane, qui a retrouvé une seconde jeunesse en surfant sur une vague d'idées archaïques, ont ainsi menacé de créer un « front populaire » pour défendre le droit de porter le khimar sur la photo d'identité. Dans l'autre bord, la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme (LADDH) a pris le contre-pied de ces arguments. Rejetant elle aussi, la procédure mise en place pour le passeport biométrique, elle accuse le ministère de l'Intérieur de vouloir tout simplement ficher les Algériens, et demande de «stopper d'urgence cette procédure administrative». La Ligue relève que l'administration demande des informations sans aucun rapport avec ce qui est nécessaire pour établir un document d'identité ou de voyage, et affirme vouloir exprimer ainsi «l'inquiétude» des citoyens face à cette situation. «La procédure de «fichage» des Algériens par le ministère de l'Intérieur n'est pas acceptable car elle porte atteinte à la vie privée, droit fondamental de chacun», affirme la Ligue, qui dénonce, par ailleurs, le fait que cette tâche soit confiée à une entreprise étrangère. «Confier la confection d'un fichier national approfondi à une société étrangère, de surplus privée, est une décision qui porte gravement atteinte à la souveraineté nationale», estime la Ligue, qui dénonce «les motivations de l'Administration qui paie une société privée étrangère pour gérer le fichier national». Elle accuse ainsi le ministère de l'Intérieur de faire preuve d'«inconscience et légèreté ». Aussi argumentée soit-elle, la position de la Ligue n'a guère attiré l'attention. Elle a été étouffée par la campagne menée par les défenseurs du « khimar » (voile), eux-mêmes gérés de main de maître par des leaders d'opinion aux idées tranchées. Ce qui confirme, une nouvelle fois, une régression au sein de la société, ainsi qu'une domination de certains archaïsmes de plus en plus pesants. Ainsi, la mobilisation de chaque camp a révélé que les défenseurs des libertés, au sein de la société algérienne sont peu nombreux. Et même s'ils sont nombreux, leurs voix ne portent guère. Dans cette affaire du passeport, ils ont été inaudibles. A l'inverse, les courants traditionalistes et archaïques ont fait preuve d'une grande efficacité, réussissant à mobiliser une partie de l'opinion et réussissant, surtout, à occulter le vrai débat sur le respect des libertés. Car plus on parle de khimar, moins on parle de libertés.