«Que la première de vos lois garantisse à jamais la liberté de la presse, sans quoi aucune autre liberté ne serait acquise.» En adressant ce message aux «Trois ordres», Mirabeau avait vu juste. De la liberté de la presse à la liberté politique, certes, la ligne est droite. Du moins dans les idées. Dans la pratique, cet idéal est encore lointain. La liberté de la presse - alors au berceau de la Révolution française - est plus de deux siècles plus tard encore une question posée par les médias, y compris dans les vieilles démocraties occidentales. La raison est à l'origine dans la culture totalitaire qui a accaparé cet instrument privilégié de la communication pour les usages de la propagande officielle. Dans les systèmes politiques pluralistes, le jeu du pouvoir et des puissances financières en a limité l'objectivité et la crédibilité. Dans les deux cas, l'idée du philosophe grec Xenophon se vérifie : «Celui qui détient le pouvoir est toujours tenté d'en abuser.» C'est évident sous les régimes totalitaires. C'est vrai en partie dans les démocraties occidentales. Autrement dit, la liberté de la presse continuera d'être encore pour longtemps, relativement, non pas un idéal mais un enjeu politique. L'exercice démocratique est compliqué en raison des rapports de force politiques en place, des convictions idéologiques et surtout du degré de pénétration de la puissance de l'argent. Dans le monde de la communication. Un monde où, logiquement, l'argent n'a rien à y faire. On est loin de l'esprit du discours de Mirabeau. Deux expériences L'Algérie a connu les deux expériences. Celle du totalitarisme, révolu, où seul le pouvoir politique dirigeait et orientait l'information. Il y a, surtout, ce qui nous intéresse le plus, celle du système pluraliste actuel caractérisé par la diversité du champ de la presse écrite et par bien des aspects contraires à l'éthique et à la déontologie. Le champ politique s'est ouvert et le champ médiatique s'est diversifié progressivement depuis le début des années 1990. Le journal est devenu le fleuron de la jeune expérience démocratique du pays. Dans une conférence dans une université madrilène, le journaliste français Paul Balta avait cité la presse algérienne comme meilleur exemple de «liberté de ton» de tout le monde arabe. Doit-on pour autant comprendre que le jugement de notre confère, reconnu honnête, devrait avoir valeur de compliment d'où il faut tirer une certaine fierté ? Doit-on pour autant faire dans l'autosuffisance et conclure que la presse algérienne est dans sa diversité au-dessus de tout soupçon ? Qu'il existe chez le journaliste une volonté professionnelle et éthique de se démarquer du courant partisan pour mettre sa plume, exclusivement, au service de la demande d'une information politique objective ? Ce qui n'est pas évident, en 2009, dans les démocraties les plus avancées, ne l'est pas en Algérie, il faut l'admettre. Le piège partisan La question qui se pose, aujourd'hui, chez nous, pour nous, est de savoir si la liberté de la presse se mesure à la liberté de ton. Dans ce cas nous sommes, c'est vrai, la meilleure presse du monde arabe. Encore faut-il reconnaître que la marge entre la critique objective et la diffamation est encore floue dans les esprits. Aucune nuance non plus entre presse - farouchement - partisane et presse - scrupuleusement - professionnelle. Le danger c'est, malheureusement, que la presse algérienne n'a pas su éviter le travers du «piège partisan» ou, à l'opposé, de croire que sa mission est de flatter tous les gouvernements de l'indépendance du pays à nos jours. Se mettre aux ordres du pouvoir politique ou se ranger radicalement dans l'opposition. Pas de juste milieu. Des attitudes manichéennes qui ont pris le dessus pour ne laisser place ni au recul d'opinion ni au sens de la nuance, de la mesure ou de l'équilibre. L'ouverture du champ médiatique aura finalement conduit à tous les travers : du harcèlement du journaliste pour avoir fait son travail dans la marge tolérée d'erreur d'appréciation du fait, à la diffamation sans retenue qui peut marquer la victime à vie. Quels que soient dans le premier comme dans le second la réparation ou le droit de réponse. Le mal est fait. «Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose», disait Goebbels, le ministre de la Propagande d'Hitler. Une presse honnête, libre, professionnelle, non partisane, non servile, qui ne touche ni aux constantes de la nation, ni aux valeurs partagées par les Algériens, ni encore aux valeurs universelles, ne rêvons pas, elle est à faire. Le début du parcours vers cet idéal comme culture de société doit commencer par le respect de la diversité des opinions. Il faut avoir la capacité d'abord de se libérer de ses convictions politiques et idéologiques, de se placer au-dessus du débat partisan. C'est ce qu'on attend du journaliste. De l'homme politique, on attend qu'il accepte la critique. Mieux encore, qu'il puisse dire à l'adresse de son adversaire : «Je ne suis pas d'accord avec ton opinion, mais je me battrai pour que tu puisses l'exprimer librement.» C'est tout l'enjeu de la liberté de la presse en Algérie.