Les efforts d'assainissement ont payé. Le secteur bancaire nord-africain, selon Dr Mohamed Damak, analyste crédit à Standard & Poor's, se porte mieux depuis cinq ans. Les Afriques : Vous êtes chargés de la notation des banques en Afrique du Nord. Comment se présente la situation ? Mohamed Damak : Il y a onze banques notées en Afrique du Nord. Trois en Egypte, trois au Maroc et cinq en Tunisie. Nous y avons deux types de notation, sollicitée et non sollicitée. Dans le premier cas, c'est l'émetteur qui demande à être noté. Dans le second cas, c'est notre initiative propre. Pourquoi faire une notation non sollicitée ? Une notation non sollicitée est attribuée par Standard & Poor's pour servir les investisseurs et améliorer la transparence du marché. Nous avons par exemple des notations non sollicitées pour la Société tunisienne de banque en Tunisie et la Banque marocaine du commerce extérieur au Maroc. Nous mentionnons clairement dans nos publications si la notation est sollicitée ou pas. Comment se passe concrètement la notation ? Le processus commence avec une demande de la part de l'émetteur. L'analyste en charge du dossier récolte, dans un premier temps, toutes les informations disponibles sur cette entité. Ensuite, une mission de deux analystes senior séjourne dans le pays et rencontre les dirigeants de la banque pour avoir toutes les informations qualitatives et quantitatives nécessaires. Un comité de notation se réunit pour discuter et statuer sur la recommandation des analystes. Ce comité est composé d'analystes senior avec une expérience bancaire importante. Une fois la décision du comité prise, la notation est communiquée à l'émetteur qui décide de publier ou pas. Dans tous les cas, la notation fait l'objet d'une surveillance continue. Les banques notées ont-elles eu tendance à publier leur rating ou pas ? Et quand le rating est confidentiel, les investisseurs y ont-il quand même accès ? La plupart des banques que nous avons notées en Afrique du Nord ont choisi de publier leurs notes. Cependant, quand la note est confidentielle, même les investisseurs n'y ont pas accès. Le besoin de notation est-il plus important pour les banques africaines que pour les autres, parce qu'elles sont en Afrique, qu'elles ont moins de notoriété ? La notation peut aider les émetteurs à être plus transparents et à avoir un regard externe sur leurs comptes et leurs stratégies. Bien entendu, on ne fait pas de mission de conseil. Le besoin en notation est probablement plus important pour une banque située dans un marché émergent. Cela donne aux investisseurs un regard externe et, parfois, c'est même demandé par des réglementations bancaires. Par exemple, en Tunisie, pour accéder au marché des capitaux local pour plus de cinq millions de dinars, il faut être noté. Est-ce que ces ratings ont permis un accès plus facile pour ces banques à des ressources extérieures ou à des taux d'intérêt moins élevés ? Nous pensons qu'un rating Standard & Poor's permet d'améliorer l'accès au marché. Nous sommes aussi régulièrement contactés par des investisseurs qui veulent des explications ou des clarifications par rapport aux notes publiées. Comment peut-on noter un client en toute indépendance ? Il y a une séparation claire entre les services commerciaux et les services analytiques au sein de Standard & Poor's. C'est une question essentielle pour éviter tout conflit d'intérêt. L'analyse n'est aucunement influencée par les aspects commerciaux et les analystes ne connaissent pas la rémunération payée par l'émetteur. Aussi, la rémunération d'un analyste ne dépend pas du chiffre d'affaires réalisé par Standard & Poor's sur les banques qu'il couvre. Comment se portent les banques en Afrique du Nord ? Il y a cinq ans, il n'y avait aucune banque en catégorie d'investissement. Toutes les notes étaient en catégorie BB. Aujourd'hui, il y en a deux en catégorie d'investissement, la Banque centrale populaire du Maroc, BBB-, et la Banque de l'habitat de Tunisie, également BBB-. Ce qui montre qu'il y a une dynamique positive qui reflète les efforts d'assainissement, mais aussi les anticipations de soutien de la part des gouvernements. Au Maroc, il y a eu une phase de nettoyage/consolidation du système bancaire entre 2004 et 2006. Il y a notamment eu la fusion entre la Banque commerciale du Maroc et Wafabank pour créer Attijariwafa Bank, et une accélération du développement du système bancaire. En Tunisie, il y a eu également, depuis deux ou trois ans, une phase de nettoyage après la croissance très importante des créances douteuses entre 2001 et 2002, du fait de la crise du secteur touristique. Le taux de créances douteuses est tombé à moins de 15% à fin 2009. En Egypte, la Banque centrale a conduit des réformes très importantes pour consolider le système, avec des fusions de banques, la vente d'un certain nombre de banques à des investisseurs étrangers, Bank of Alexandria par exemple, vendue à San Paolo IMI en 2006, et enfin un mouvement de nettoyage pour les banques publiques. Outre les efforts d'assainissement, l'environnement macroéconomique porteur a joué son rôle dans ces trois pays. Comment se présente l'avenir pour les banques nord-africaines ? La crise a eu des effets sur les pays nord-africains, mais ces effets ont été moins importants que ce qu'on a vu sur d'autres marchés émergents. Au Maroc, le secteur immobilier est une source de risque. Ce secteur est composé de trois compartiments : le social financé en partie par l'Etat via des mécanismes de garanties, le luxe, où l'exposition des banques est relativement faible, et le moyen standing qui constitue l'essentiel des expositions des banques. Il y a un risque que la pression baissière des prix déjà notée sur le segment de luxe s'y propage. Il y aurait alors des impacts sur la qualité des actifs des banques. Néanmoins, notre scénario de base est que la croissance des crédits douteux sera assez gérable. Pour la Tunisie, on était inquiet sur deux secteurs, le tourisme et les industries mécaniques et électriques. Mais au vu des chiffres 2009, ces deux secteurs ont bien résisté, d'autant que le gouvernement a mis en place des mécanismes d'accompagnement. Notre scénario de base est qu'il y aura une stabilisation, voire une petite augmentation des créances douteuses en 2010, avant que le trend en amélioration reprenne. Pour l'Egypte, la principale source d'inquiétude était l'exposition au secteur touristique, compte tenu de la baisse significative des recettes. Pour l'instant, on n'est pas dans des scénarios catastrophiques et la petite augmentation des créances douteuses a déjà été anticipée et intégrée dans nos estimations.