La corruption étant, selon un ministre de la république, un mal plus que nécessaire dans un pays où tout le monde a la «bonne idée» de prendre l'ascenseur plutôt que l'escabeau, le pays s'est «naturellement» divisé en deux peuples: celui des hommes-portion et un autre juste en face de lui: celui des hommes-ration, les uns mangeant par grandes louchées dans la main des autres, le pays s'est alors retrouvé divisé en millions de petites portions et en autant de grandes rations. Acte I: L'homme-portion est celui qui sait lire en diagonale dans le main de l'Algérie de mama et de papa. Et parce que, paraît-il, tous les gueux se réconcilient à la gamelle, l'homme-portion, à la manière peu élégante du corbeau rusé qui sait chiper son morceau de fromage dans la bouche béante de plus affamé que lui, il sait se faire gros avec plus grand que lui. Sachant bien que le pain est né deux ruses avant la galette, l'homme-portion fait semblant de quémander un quignon de pain rassis lorsqu'il coupe sombrement dans votre gâteau trop gras, vous laissant votre seul visage entarté en guise d'avenir sans but. Ne croyant pas en l'existence de petit morceau, ni en petit ni en grand format, l'homme-portion sait faire de l'art «portionner» une néo-théorie à ne jamais enseigner dans les bahuts et de la technique de rationner une pratique dépénalisée et aseptisée jusque dans les caniveaux bouchés et les égouts obstrués. L'homme-portion est si futé qu'il peut manger dans la gueule fétide d'un fauve repu en l'hypnotisant avec un regard de gnou effarouché. L'homme-portion, c'est aussi un bipède qui sait construire un château huppé avec des briques brisées et manger un giga-méchoui mal cuit avec des yeux larmoyants et des mains manucurées. Acte II: L'homme-ration, à rebours de l'homme-portion, est un homme peu solitaire. Chassant en groupe, l'homme-ration sait flairer sa proie jusque dans le ventre vide d'un macchabée momifié. L'homme-ration rusé comme un singe, sait chialier avec le berger ruiné et manger avec le chef de meute de loups rassasiés. A la tête d'un groupe dit de la ration, il sait faire de l'assemblée des hommes-portion un aréopage de bouches cousues et de caboches bouchées. Un homme-ration, c'est un peu comme un commissionnaire en smoking usé jusqu'à la fibre, sans bulletin de paie ni passeport ventro-métrique. A mi-chemin entre un anthropophage et un mangeur de chair fraîche, un homme-ration ça peut écoper une mer avec une cuillère trouée et avaler d'une seule bouchée la terre entière. Un homme-ration ça existe partout, en haut comme en bas, à votre droite comme à votre gauche, dans un bureau, comme il peut vivre tapi dans la peau d'un homme commun. Il peut se mettre juste en face comme il est capable de vous surprendre par derrière votre dos sans gilet pare-coups fourrés. Un homme-ration, ça vous mange vote corps, votre cœur, les os, les yeux de la tête, la peau des ongles, votre cervelle fatiguée, pour ne vous laisser que votre porte-monnaie vidé de son dernier sou.Et entre l'homme-portion et l'homme-ration, il n'y a qu'une ligne invisible a l'œil nu: celle de l'argent, ce fumier de l'humanité d'aujourd'hui et de demain