La Commission européenne envoie à Alger son commissaire chargé de l'élargissement et de la politique de voisinage pour élaborer une feuille de route avec les autorités algériennes en prévision du Conseil d'association qui les réunira le 15 juin prochain au Luxembourg. Le Commissaire européen effectuera, à ce propos, une visite à Alger les 19 et 20 mai, comme indiqué dans un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères diffusé hier par l'APS. Stefan Fule prévoit de s'entretenir avec de hauts responsables algériens en vue de préciser les perspectives des relations entre l'Algérie et l'Union européenne, à la lumière de la mise en œuvre de l'accord d'association qui lie les deux parties. Au menu de cette visite aussi, des discussions autour de questions régionales et internationales «d'intérêt commun». Il faut souligner que la visite de Fule à Alger prépare la tenue au Luxembourg, le 15 juin prochain, de la 5è session du Conseil d'association Algérie-UE. Le communiqué du MAE estime en effet qu'elle sera «l'occasion de mieux préparer cette importante échéance et constitue un témoignage de l'intérêt qu'accordent les deux parties au renforcement de leurs relations de coopération et de dialogue». Il faut croire que les esprits des Algériens et ceux de l'UE ne se sont pas vraiment apaisés depuis que le gouvernement Ouyahia a adopté la loi de finances complémentaire en juin 2009. Si, du côté européen, ce sont les dispositions relatives à l'investissement étranger contenues dans cette loi qui démontrent «la mauvaise foi des Algériens», pour ces derniers, l'accord d'association est une véritable supercherie, notamment dans sa partie d'aides techniques qu'il aurait dû accorder aux entreprises algériennes et, par là, participer à la relance de l'économie nationale. «L'Algérie a perdu plus de 2,2 milliards de dollars en fiscalité depuis la mise en œuvre de l'accord d'association, septembre 2005», a relevé récemment le ministre des Finances. «Il faut absolument qu'on revoie les clauses de cet accord», a-t-il plaidé. A l'instar du ministre du Commerce et d'autres hauts responsables, le ministre des Finances tient à ce que «la mise en œuvre de l'accord soit juste et équitable». Rien ne va donc plus entre les deux parties depuis le dernier Conseil d'association qui les a réunis au Luxembourg le 16 juin 2009. A cette occasion, les Européens ont mis, en premier, l'exigence pour l'Algérie d'expliquer son adoption d'une loi qui contredit l'esprit de quatre articles de l'accord d'association. Il s'agit des articles 32.1 «qui engage l'Algérie à accorder le traitement national aux prestataires de services de l'UE», 37.1 «qui contient une clause de stabilité», 39 «qui impose la libre circulation des capitaux entre les deux parties» et 54 «qui engage les deux parties à faciliter un climat favorable pour l'investissement». La commissaire européenne des transports avait, à cet effet, adressé, le 12 juin de la même année, une lettre très sèche au ministre algérien du Commerce pour lui faire savoir que les dernières mesures n'étaient pas du tout du goût des Européens. «Notre objectif commun, vous en conviendrez certainement, est de promouvoir des conditions stables, prévisibles et non discriminatoires aux investissements en Algérie afin d'assurer la croissance et la diversification de nos économies», avait-elle écrit en préambule de sa missive. «Les sérieuses inquiétudes de l'UE» «C'est dans ce contexte que je souhaiterais vous faire part des sérieuses inquiétudes de l'Union européenne concernant les modifications envisagées au régime des investissements étrangers annoncées dans les instructions du Premier ministre des 20, 21 et 22 décembre 2009 ainsi que les mesures d'assainissement et de régulation de l'activité du commerce extérieur», lui a-t-elle fait savoir. «Il est cependant regrettable de noter que, plutôt que d'aller dans cette direction, les mesures annoncées sont de nature à affecter négativement l'investissement direct étranger existant et futur en Algérie. Les Etats membres de l'UE ainsi que l'industrie européenne m'ont fait part de leurs réactions très vives», avait dit encore Catherine Ashton à El Hachemi Djaâboub. Elle lui a rappelé que «les changements du cadre réglementaire devraient respecter entièrement les dispositions de l'accord d'association et contribuer positivement au processus d'adhésion de l'Algérie à l'OMC». Ashton avait exposé à Djaâboub les dispositions qui avaient soulevé le courroux des Européens. Ce sont «le fait que tout projet d'investissement étranger qui demande à bénéficier du régime général devrait maintenant être examiné par le Conseil national de l'Investissement sans qu'aucun délai ne s'applique pour cet examen ; que l'actionnariat algérien devrait être majoritaire dans tout investissement étranger ; que le capital devrait exclusivement être mobilisé sur le marché financier algérien local ; que tout projet devrait dégager une balance en devises excédentaire au profit de lAlgérie, et cela, pendant toute la durée de vie du projet, et, enfin que toute société étrangère d'importation doive s'assurer d'une participation algérienne d'au moins 30% dans son capital». La commissaire européenne avait «encouragé» le gouvernement algérien à «reconsidérer les mesures annoncées et à explorer la possibilité de suspendre leur application». Elle pensait que le Conseil d'association du 16 juin 2009 allait en discuter et aplanir les mésententes entre les deux parties. Mais, à cette occasion, le ministre des Affaires étrangères Mourad Medelci s'était contenté de rassurer les Européens en qualifiant les dispositions en question de «conjoncturelles imposées surtout par un grave problème dans la balance nationale des paiements résultant des effets de la crise financière mondiale». Puis plus rien. «Autant prendre notre temps !» Un mois plus tard, en juillet dernier, les représentants de la Commission européenne (CE) n'avaient trouvé aucune gêne à lancer un cri de détresse aux responsables algériens pour leur demander de les aider à surmonter cette crise qui les met en mauvaise posture face aux pays membres de l'UE et au reste du monde. Du moins, c'est ce qu'ils avaient soutenu. «Il faut que l'Algérie nous sauve la face, on se sent injuriés par ce manque de respect de l'accord d'association», s'étaient-ils lamentés. «Si vous ne respectez pas les accords internationaux que vous avez signés, vous aussi vous perdez la face !», avaient-ils clamé. Ils étaient persuadés que «c'est un contentieux que l'Algérie devait régler en faisant prévaloir la clause de sauvegarde contenue dans l'accord d'association». (Voir le Quotidien d'Oran du 12 juillet 2009). Les Algériens ont estimé alors que cette clause n'avait rien à voir avec les nouvelles mesures sur l'investissement étranger décrétées par le gouvernement Ouyahia. «La clause de sauvegarde ne peut être évoquée que sous un certain nombre de conditions qui ne sont pas réunies dans le cas de ces mesures», nous avaient lancé des responsables algériens l'été dernier. La CE ne peut même pas prétendre à un arbitrage et les Algériens savent qu'il n'est pas possible dans pareil cas. «L'arbitrage n'est possible que si l'Algérie est membre de l'OMC», notent nos sources algériennes. Elles s'amusent surtout à rappeler que «l'Union européenne a bloqué notre adhésion à l'OMC !» Faux ! rétorquent les Européens, «nous avons envoyé une série de questions aux autorités algériennes mais elles n'ont pas daigné y répondre». En plus, avaient-ils ajouté, «quand on veut adhérer à l'OMC, on travaille beaucoup, ce n'est pas le cas de l'Algérie !» Les Algériens se sont simplement rendu compte qu'ils n'avaient rien à gagner en accélérant cette adhésion. «Autant prendre notre temps !», estiment-ils. En fait, ils ont vu que les Européens cherchaient à leur arracher des concessions sur les services par la proposition d'une nouvelle offre tarifaire. «On a suffisamment fait de concessions !», estiment les Algériens. Les Européens leur ont promis la révision de la liste des produits agricoles transformés et de la pêche. L'Algérie, elle, veut que ses entreprises accèdent librement au marché européen. «Il faut que vos produits répondent à des normes précises!» leur exigent les Européens. Le Conseil d'association du 15 juin prochain devra se pencher sur la commercialisation des produits agricoles, considérée comme étant la plus sensible des clauses à (re) négocier. A l'octroi, à la fin de l'année dernière par la CE, d'un montant de 100.000 euros, les Algériens ironisent: «100 000 euros, ça s'appelle budget ?!?» Demandes algériennes et refus européens Le commissaire européen responsable de l'élargissement et de la politique européenne de voisinage signera, lors de sa visite, la fin de la semaine en cours, un mémorandum d'entente relatif à la programmation financière 2011-2013 d'un montant de 172 millions d'euros, couvrant six projets de coopération liés au développement durable, à la culture, à la croissance économique et à l'emploi, fait savoir le MAE dans son communiqué. Autres rappels d'autres griefs entre l'Algérie et l'UE, à sa demande, l'année dernière, d'élargir les compétences du sous-comité des droits de l'Homme de l'UE au dialogue politique et à la sécurité conformément au titre I de l'accord d'association, l'Algérie avait essuyé un refus de la part de la CE qui avait soutenu que tous les pays signataires de cet accord ont adhéré à ce sous-comité. «Excepté Israël», fait remarquer l'Algérie qui refuse, disent nos sources, «de comparaître devant un tribunal à chaque fois que les Européens le veulent». Jusqu'à aujourd'hui, «c'est donc le bras de fer !», disent les Algériens qui ne sont pas disponibles à reculer sur quoi que ce soit. Ils disaient, l'été dernier, comme pour narguer leurs interlocuteurs européens, «c'est comme ça et puis c'est tout !» Les Algériens reconnaissent, bien sûr, que les dispositions prises l'été dernier ne sont pas conformes à celles de l'accord d'association. Mais, avaient-ils lancé, à la même période: «Les Européens ont eux aussi violé le principe de la consultation contenu lui aussi dans l'accord.» Jusqu'à fin 2009, l'interdiction d'entrée au marché européen signifiée à une entreprise algérienne par la CE n'avait pas été levée. La CE avait mis en branle une procédure antidumping, disent nos sources, «sans consultation de la partie algérienne» et estiment qu' «on a appris la leçon !» Elles mettent aussi dans le même dossier la directive sur les émissions de gaz imposée par la CE à la compagnie Air Algérie, «d'une manière unilatérale». Les Européens avaient rebondi en précisant qu'«il ne s'agit pas d'une mesure discriminatoire, par contre les mesures du gouvernement algérien le sont !» A ceux des Européens qui reprochent aux Algériens d'entretenir une instabilité juridique dont les conséquences sont inévitables sur les investissements directs étrangers (IDE), les Algériens interrogent: «Mais, avant ces mesures, ils disaient que le climat des affaires était favorable, alors pourquoi les IDE ne sont-ils pas venus ?» A ne pas oublier que l'UE veut forcer la main à l'Algérie pour adhérer à sa politique de voisinage mais en vain. Alger refuse de se voir élaborer, à cet effet, un plan d'action «qui ressemblerait à un plan d'ajustement structurel du FMI».