Ironie de l'histoire, Mohamed Seghir Nekkache a rendu l'âme, hier dans la clinique de son neveu qui porte son nom. Pourtant, il est de notoriété publique qu'un monde sépare les deux hommes. Interrogé une fois sur sa relation avec son oncle, le neveu dira «dans sa tête, il est toujours dans le maquis». Et d'expliquer «il vit dans une chambre chez quelqu'un avec un lit et le strict minimum alors qu'il a sa propre villa et son salaire d'ancien ministre de la République». Les Oranaises et les Oranais qui connaissent ce personnage qui a consacré sa vie pour son pays se rappelleront de ce petit homme à l'air absent, «posé » sur une chaise devant une épicerie en haut de la rue du général Ferradou. L'image, à elle seule, nous interpellera pour longtemps parce qu'illustrant le destin peu reluisant de celui qui a mis en place les structures de la santé durant la guerre de Libération nationale. Le grand homme qui a enduré les pires atteintes à sa dignité a renoncé à la vie depuis plus de deux décades. De temps à autre, certains de ses amis, le sortaient, comme une momie, lorsqu'un tel ou un tel passait en visite à Oran. Lors d'un déjeuner offert à Ben Bella, de visite à Oran, offert par le professeur Attar dans sa demeure, le docteur Nekkache était parmi les convives. En face de son ancien ami et compagnon, il ne pipera pas un mot. Pourtant, «raïss » profitera de l'opportunité pour rappeler la générosité du premier ministre de la Santé de l'Algérie indépendante. Il racontera notamment qu'avant de fermer son cabinet de Mdina Djida, pour aller rejoindre le front en 1954, Nekkache apprendra à un de ses derniers visiteurs, militant lui aussi, comment on fait une injection. «Il fera sa démonstration avec une seringue sur une pomme de terre», lance t-il. Ben Bella, reconnaîtra devant ses hôtes que c'est Nekkache qui subvenait à ses besoins quand ils étaient installés en France. Un autre militant du MDA, le parti fondé par Nekkache avec Ben Bella, se remémore toujours du traitement calomnieux qu'a consacré un titre prestigieux de la presse nationale de l'époque du parti unique à l'épouse d'origine suédoise de l'ex ministre de la Santé. Sollicité pour nous fournir certaines indications sur celui qui vient de tirer sa révérence, ce même militant nous dira «il faut recueillir les témoignages des anciens Oranais qui se rendaient dans son cabinet pour se soigner gratuitement». Mais parbleu où les trouver dans un pays qui a un grave problème avec sa mémoire, des témoignages de ce type. Né en 1918 dans la région de Tlemcen, Nekkache a décroché son diplôme de médecin en 1949. On ignore le degré de parenté le liant avec Mohamed Nekkache, mort dans les années 50 et considéré comme le premier médecin algérien. Avant de rejoindre les maquis, aux premières heures du déclenchement de la guerre de Libération nationale, il ouvrira un cabinet à Oran. Il recevait surtout les petites gens et certains futurs médecins qui passaient prendre quelques cours chez lui. Dès 1956, il s'emploiera à réorganiser les structures de la santé militaire au niveau des différents maquis. Il faisait des allers et venues entre Oujda, siège de l'état-major et Tunis où siégeait le GPRA. Au lendemain de l'indépendance, nommé ministre de la Santé, il entamera une autre entreprise : mettre en place un système de santé dans un pays ravagé par la guerre. Il restera dans son poste jusqu'au lendemain du putsch de 1965. Il sera incarcéré jusqu'à 1968 où il sera mis en résidence surveillée jusqu'en 1971. En 1982, il sera encore une fois emprisonné, cette fois-ci avec sa femme, pour une histoire de trafic d'armes. Il sera libéré en 1984, suite à une grâce présidentielle. Avec Ben Bella, ils essayeront d'animer le MDA, (Mouvement pour la Démocratie en Algérie). Ce parti aura son agrément dans la foulée du vent de liberté qui avait soufflé en Algérie entre 1988 et 1990. Au début de cette décennie, sentant les débuts d'une nouvelle époque avec d'autres mœurs politiques, Mohamed Seghir Nekkache préfère se retirer de la scène politique sans faire de bruit. Les dernières années de sa vie, il les passe chez Bouslah. A l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, il a été décoré par «wissam el achir », l'ultime distinction de la République algérienne. Mais Mohamed Seghir, atteint d'Alzheimer, s'était déjà installé dans un ailleurs. Les rares personnes qui lui rendaient visite avaient relevé sa grande méfiance. Il évitait de se prononcer devant des personnes tierces. Avec ses proches, et dans ses moments de discernement, il faisait preuve de beaucoup de lucidité. Il n'était pas du tout rassuré quant à l'avenir du pays. Un pays qui l'a presque renié...