35.000. C'est le nombre d'emplois perdus en 20 ans dans le seul secteur public de la filière du textile. Les entreprises du textile et du prêt-à-porter ont très mal négocié l'ouverture du marché. Les fonds n'ont pourtant pas manqué. Reda Hamiani, président du Forum des chefs d'entreprises l'a constaté avec regret. «Notre système du textile a englouti près de 20 milliards de dollars durant une vingtaine d'années mais, au final la consommation type, c'est-à-dire l'uniforme d'un jeune constitué d'un jeans, d'un t-shirt et d'une paire de baskets, nous avons été incapable de les produire». L'ancien confectionneur de chemises de la marque Redman ne s'attend pas un à avenir reluisant pour le textile algérien dans l'état actuel des choses. Obsolète, ce secteur pourvoyeur d'emplois n'arrive toujours pas à s'adapter à une demande exigeante. Les produits de l'industrie textile algérienne sont techniquement bons mais ils ont défaut rédhibitoire de ne pas répondre au goût du moment. Ils ne sont pas assez «trendy» alors que les tendances se mondialisent. Amar Takjout, Secrétaire général de la Fédération nationale du textile (UGTA), pointe du doigt un manque de volonté de la part des pouvoirs publics de relancer le secteur. «On n'a pas demandé à ces entreprises de répondre à la demande du marché, donc elles n'ont pas cherché à s'adapter. Le discours politique aujourd'hui est démobilisateur. On n'arrête pas de dire qu'il n y a pas d'avenir et qu'il n y a rien à faire pour sauver ce qui reste de l'industrie textile». Se contenter des uniformes Pourtant les unités de confection de prêt-à-porter des entreprises publiques ont la capacité de faire des vêtements qui répondent aux normes internationales. Avec une superficie de plus 2000 m², des machines de dernière génération et 180 employés, la Maison du prêt-à-porter (MAPAP), dans la banlieue Est d'Alger, se limite à la confection d'uniformes pour des institutions de l'Etat. La fabrique dispose de tout le nécessaire pour copier et produire des vêtements à la mode. Le problème est que la reconquête du marché grand public ne figure pas dans ses objectifs. Son PDG, Abdelkrim Zirifi, estime pourtant que c'est le «bon moment» de le faire. «Aujourd'hui il y a un regain d'activité et c'est une opportunité qu'il va falloir saisir pour relancer cette filière créatrice d'empois par excellence, d'autant plus que nous disposons d'atouts non négligeables. L'Algérie avait testé avec succès la culture du coton qui a donné une fibre de bonne qualité avec en parallèle le développement des fibres synthétiques qui sont des dérivés des hydrocarbures», a-t-il indiqué. Malgré tous ces atouts, l'Algérie est le seul pays au Maghreb qui accuse des retards importants dans le textile. «Nos voisins qui avaient une industrie textile moins importante que celle de l'Algérie ont mieux réussi leur ouverture. Si les Marocains et les Tunisiens ont pu placer leurs produits sur les marchés extérieurs, c'est parce qu'ils ont cherché des partenariats avec les étrangers et ils ont réussi à faire de ce secteur un des vecteurs de leur croissance économique», estime l'économiste Salah Mouhoubi. Privées ou publiques, les entreprises de la filière textile sont confrontées à de nombreux problèmes : approvisionnement en matières premières, concurrence déloyale et, c'est le plus lourd, un manque de personnel qualifié. Le constat est simple : il n'existe aucune école de stylisme et de modélisme pour le prêt-à-porter en Algérie. «On a la responsabilité de faire le bon choix en matière de style, car il y a des modes qui ne fonctionneront jamais sur notre marché et on a le devoir de s'adapter à la demande et de suivre les tendances», a relevé Nadjib Benmerabet, gérant d'une chemiserie. Potentiels en jachère Les industriels n'écartent pas leur responsabilité dans la perte de parts de marchés. Une fâcheuse tendance au ronronnement s'est installée. «Se contenter seulement des marchés que nous donnent les institutions de l'Etat, comme l'armée ou les autres corps constitués, est suicidaire. On n'a pas le choix, on doit aller vers la reconquête du plus importants marché qui reste, celui du grand public», prévient Amar Takjout. Certains problèmes sont aisément solubles. Pour l'approvisionnement en matières premières par exemple, les entreprises publiques de fabrication de textiles peuvent répondre à la demande des confectionneurs privés qui se plaignent de la mauvaise qualité du tissu importé. «C'est irrégulier, la qualité laisse à désirer et il y a souvent des pénuries. Si seulement on pouvait s'approvisionner auprès des entreprises publiques qui fabriquent du tissu de bonne qualité» soupire Nadjib Benmerabet. C'est que les entreprises publiques et privées ne communiquent pratiquement ou pas assez entre elles. Les potentiels de relance restent en jachère tandis que l'importation continue de grignoter des parts du marché.