Abdelhak Lamiri qui dirige le premier institut privé de formation en gestion du pays, a pris au cours des dernières années, sur la scène publique, des positions souvent très critiques vis-à-vis de la politique gouvernementale. La priorité réservée au secteur public, encore confirmée par les décisions récentes de l'exécutif, est une des cibles privilégiées d'une argumentation qui milite globalement en faveur d'une réorientation complète de l'action de l'Etat algérien. La réforme de l'Etat lui-même en vue d'améliorer le management institutionnel, une action résolue en faveur de l'amélioration qualitative de la formation et une priorité franche donnée au développement du secteur privé sont quelques-uns des thèmes de prédilection du DG de l'INSIM. A l'occasion de l'adoption de la LFC 2010, l'importance croissante prise par la dépense publique, la capacité des structures de l'Etat à les gérer, l'absence d'une véritable politique de l'offre fondée sur le développement de la PME ou encore les dérives du patriotisme économique sont passées au crible par un économiste dont la réflexion est aujourd'hui à contre-courant de l'idéologie officielle. Quels sont de votre point de vue les aspects les plus caractéristiques de la LFC 2010 ? Globalement, nous pouvons faire les mêmes commentaires sur les lois de finances des dernières années. La vision et les objectifs recherchés sont nobles. Il s'agit de faire ce que tous les pays essayent de réaliser, à savoir protéger leurs économies nationales dans un contexte où le patriotisme économique se répand même si les acteurs politiques le réfutent au niveau formel. Nous avons notre lot de problèmes sociaux et une protection intelligente de l'économie nationale est, au vu de la conjoncture mondiale, plus que souhaitable. Cependant, les outils et les méthodes utilisées sont peu appropriés. Je donne comme preuve l'imposition de la mesure de rétrocéder 51% aux opérateurs algériens. C'est une mesure inutile, nuisible et qui protège peu l'économie nationale. On peut avoir suffisamment d'investissements spéculatifs qui avec 49% peuvent siphonner toute notre manne pétrolière. C'est une mesure qui fait plus de mal que de bien. Mais l'intention était bonne : protéger l'économie nationale. Comment interprétez-vous l'importance croissante des dépenses publiques dans l'économie de notre pays ? Tous les Etats des pays développés sont en train de recourir à des dépenses publiques sans précédent pour juguler leurs économies. Les politiques monétaires et budgétaires sont mises à contribution à fond (sauf au Japon) pour juguler les effets de la crise. Ceci a inspiré nos décideurs qui ont exagéré en matière de dépenses publiques. A titre d'exemple, les dépenses de relance dans le monde excèdent rarement les 3% du PIB (production nationale), même dans les pays qui connaissent des retards en infrastructures comme la Chine. Mais nous engageons plus de 20% du PIB en dépenses de relance! Aucun pays n'a les capacités techniques et managériales pour utiliser efficacement un tel volume de ressources, a fortiori un pays sous-géré comme le nôtre est condamné à subir des allongements de délais et des surcoûts. Par ailleurs, les caractéristiques de l'économie algérienne font que nous avons besoin de stimuler plutôt l'offre que la demande. Existe-t-il, selon vous, des mesures contenues dans la LFC 2010 qui peuvent être considérées comme participant à la mise en œuvre d'une «politique de l'offre» ? Ces mesures sont-elles suffisantes ? Nous avons beaucoup de mesures qui concernent la demande : les hausses de salaires, les dépenses d'équipements et autres sont faramineuses. Certaines de ces dépenses sont utiles. Mais nous avons exagéré leur volume. En revanche, les mesures édictées dans la loi de finance complémentaire sur l'accès au crédit ou la mise à niveau sont très insuffisantes. Les décisions en faveur de l'offre sont très limitées en nombre et en volume alors que cela devrait constituer la priorité pour une économie qui a les caractéristiques de l'économie algérienne. On parle de «patriotisme économique» à propos de certaines mesures adoptées encore récemment (participation algérienne majoritaire dans les investissements en partenariat, obligation d'investir à l'occasion de l'attribution des marchés publics, etc.). Quelle appréciation portez-vous sur ces mesures ? Le patriotisme économique est pratiqué partout dans le monde, même si on évite en général de le nommer ainsi. Il y a des mesures intelligentes à prendre : fixer des normes favorables, professionnaliser notre appareil productif, etc. Nous avons besoin d'ériger un secteur productif, surtout privé mais également public, très compétitif. Une simple protection par les assainissements répétitifs et l'octroi de marchés ne font qu'affaiblir à long terme notre économie. Nous allons avoir l'impression que la situation économique et sociale est maîtrisée, mais l'économie nationale court en fait un vrai danger à long terme : devenir de moins en moins compétitive dans un contexte où les exportations d'énergie s'effondrent. Le patriotisme économique peut aboutir à relever le niveau d'efficacité de notre appareil productif ou l'anéantir. En lui-même, il ne garantit rien du tout. Tout dépend de la manière dont on le gère. Existe-t-il, selon vous, une alternative à la politique de dépenses publiques mise en œuvre au cours des dernières années ? Quels en seraient les principaux contours ? J'ai l'impression qu'on à très mal compris le message de la crise mondiale. La leçon retenue par les pays développés est la suivante: «nous, Etats, nous avons failli, nous avons trop dérégulé les marchés financiers qui ont dérapé; nous allons remettre de l'ordre dans l'économie et mieux contrôler le secteur financier qui échappait à la régulation (Shadow Banking). En Algérie, le message compris est le suivant : «le secteur privé fonctionne mal et le secteur public doit être l'outil privilégié de développement». Cette manière de voir les choses est très dangereuse. Elle aboutit toujours aux mêmes résultats : d'énormes ressources vont produire des résultats dérisoires et éphémères. Il nous faudrait beaucoup de temps et d'espace pour parler de solutions car la situation est compliquée et plusieurs axes sont à explorer. Je mentionnerai surtout les pistes suivantes: aucun pays n'a réussi son décollage économique avec des infrastructures modernes et une matière grise de piètre qualité. Il faut surtout investir dans le développement humain, réorganiser l'Etat, moderniser le management institutionnel ainsi que l'efficacité des entreprises, privilégier l'offre plutôt que la demande (créer au moins 500 000 PME/PMI et aider celles qui réussissent) et se doter d'une vision et d'un projet de société discuté et approuvé par la vaste majorité. Les dépenses sociales doivent être mieux orientées pour produire le maximum de résultats.