Le projet de loi criminalisant le colonialis me, initié par un groupe de parlementaires, ne pouvait avoir l'aval de l'exécutif. Pour une raison d'abord «algéro-algérienne». Qui est que le pouvoir a vu dans leur initiative une tentative de sortir le Parlement de son statut de simple chambre d'enregistrement. Emancipation intolérable de son point de vue, même si les députés à l'origine du projet ont pensé que celui-ci allait dans le sens voulu par l'exécutif. Il y a ensuite que ce projet se heurte effectivement à des considérations «diplomatiques, internationales et juridiques». L'Algérie peut en effet adopter une loi criminalisant le colonialisme, mais qui ne sera d'aucun effet pratique si elle est le seul Etat à le faire. Un tel texte confinera à la seule symbolique, car les autorités du pays ne pourraient en demander à d'autres la prise en considération. Si le gouvernement algérien avait vraiment voulu faire de la criminalisation du colonialisme son cheval de bataille, il ne se serait pas contenté d'exiger de la seule France d'en admettre cette nature. Le combat aurait consisté à mener une campagne internationale qui aurait visé à entraîner d'autres Etats parmi ceux dont les peuples ont subi les affres de la colonisation, à adhérer à l'exigence de la criminalisation du fait colonial. L'Algérie seule ne peut obtenir de la communauté internationale la reconnaissance de la nature criminelle de la colonisation et encore moins celle d'une loi dans ce sens dont son Etat en aura été l'unique concepteur. Dans un premier temps, le pouvoir exécutif a fait mine de laisser faire l'institution parlementaire. L'initiative des députés l'arrangeait à ce moment-là de la guerre mémorielle entre l'Algérie et la France parce qu'elle donnait à voir que la repentance à laquelle il demandait à ce pays d'accéder n'émanait pas de lui seul mais de toute l'opinion algérienne, dont l'institution parlementaire est censée être l'expression. Elle lui a surtout servi en tant que pression qui a contribué à contraindre les autorités françaises à s'opposer chez elles à une quelconque réactivation par les nostalgiques de l'Algérie française de leur projet de loi de glorification du passé colonial français. Son objectif sur ce point apparemment atteint, l'exécutif est devenu moins permissif à ce que le conflit mémoriel s'invite dans la brouille politico-diplomatique algéro-française qui ressort d'autres dossiers. Il a par conséquent, sans autre forme de procès, opposé une fin de non-recevoir à l'initiative de ses parlementaires. D'autant qu'il décelait dans celle-ci un précédent qui allait battre en brèche le confinement, comme nous l'avons déjà dit, qui réduit le Parlement à n'être que la chambre d'enregistrement de décisions gouvernementales et non leur source. S'il avait laissé faire, cela donnerait l'idée et la justification aux députés de prendre d'autres initiatives beaucoup plus gênantes pour l'exécutif, car impliquant l'intrusion de la représentation parlementaire dans des dossiers et affaires dont il veut être le seul à connaître les tenants et aboutissants. Ce qui avait commencé à se vérifier avec la demande, par un autre groupe de parlementaires, de la constitution d'une commission d'enquête par leur institution sur la corruption. D'où le verrouillage systématique empêchant l'APN de se laisser aller à sa velléité d'émancipation. Quant à la criminalisation de la colonisation, cela restera dans le seul mode de l'incantation, dans lequel excelle «la famille révolutionnaire».