Quand les bruits de couloirs ne sont pas audibles, nous nous faisons un plaisir de vous les faire parvenir. Musique. Il fut un temps où les Sommets européens ressemblaient à de vraies retrouvailles entre les chefs d'Etat et de gouvernement. Il y avait de l'enthousiasme, de l'énergie et beaucoup de fraternité européenne. «Le projet» européen, cimenté par la solidarité, épousait les espérances des peuples en des lendemains meilleurs. Les interventions des dirigeants européens baignaient dans la tradition diplomatique et la courtoisie était de mise dans les salles de conférences. Les communiqués du Conseil européen ne souffraient d'aucune ambiguïté. Les journalistes chevronnés pouvaient prédire, à la ligne près, le contenu des communiqués. Rien n'était impossible ou difficile pour continuer le rêve européen. Ceci, pour dire combien sont tristes, confuses, illisibles les rencontres bruxelloises des chefs d'Etat et de gouvernement et, par-dessus tout, angoissantes pour les peuples qu'ils représentent, tant elles sont annonciatrices de jours difficiles et d'incertitudes. Jeudi et vendredi derniers, les 27 premiers responsables de l'Union ont, une fois de plus, étalé leurs querelles politiques dans un vocabulaire de «chiffonniers» et un argumentaire d'huissiers sans âme. Le Parlement européen a voté, le 20 octobre dernier, un budget pour l'année 2011, en hausse de 5,8 %, le chiffrant à 130,14 milliards d'euros. Le Conseil européen (chefs d'Etat et de gouvernement) réplique, pas plus que 2,91 % d'augmentation. Ce sont l'Allemagne et la France qui se sont opposées à la «générosité» du PE. Ils ont été rejoints par l'Angleterre, jeudi à Bruxelles. David Cameron, le tout nouveau Premier ministre, a débarqué à Bruxelles avec la ferme intention de serrer la Bourse européenne. Il explique ne pas comprendre le vote du PE, alors que lui impose à son pays un plan d'austérité sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. La troisième institution de l'UE, la Commission européenne, ne savait plus où se situer. Si son président José Manuel Barroso a déclaré, jeudi soir, qu'il y avait moyen de trouver un accord, sa Commissaire, la Luxembourgeoise Viviane Reding a conclu ouvertement que «la proposition franco-allemande était irresponsable». Voilà qui a suffi au président français, Nicolas Sarkozy, pour s'écrier : «Elle - Viviane Reding - a insulté mon pays !» Sarkozy n'a pas oublié l'épisode des Roms. Qu'importe, la question de l'année budgétaire a remis sur le tapis une plus grande divergence : celle de la révision du Traité de Lisbonne pour, justement, cadrer la gestion des Etats membres et prévenir les déficits publics exagérés. Si tout le monde est d'accord pour mettre en place, dès 2013, un mécanisme de prévision des crises financières, les divergences sont sérieuses sur le contenu et la légitimité de ce mécanisme. A la France qui propose des sanctions financières contre les Etats défaillants, c'est-à-dire ceux dont le déficit public dépassera en 2013 les 3 % du PIB, l'Allemagne insiste pour ajouter des sanctions politiques, telle la suspension du droit de vote dans les Institutions européennes. Ni la Commission, ni le Parlement, ni la majorité des Etats ne veulent de telles «menaces» financières et politiques. Que faire ? «Il y a moyen de discuter et de trouver un consensus», s'entête à répéter le Président de la Commission, gardienne des Traités de l'Union, rappelons-le. Problème : il faut l'unanimité des Etats pour toute réforme ou amendement du Traité de Lisbonne. Procédure simple ou ordinaire, quelle que soit la méthode utilisée, il faut cette unanimité européenne. Et si davantage, les poids lourds de l'UE (Allemagne, France, Angleterre) s'amuseraient à forcer le vote tel qu'ils le souhaitent, les autres, comme ceux de l'ex-Europe de l'Est ou le Portugal et l'Espagne, n'hésiteront pas à mettre sur la table d'autres amendements au Traité de Lisbonne pour revoir, par exemple, tout le système de vote ou de répartition des sièges dans les Institutions communes. L'Irlande, qui vit une catastrophe financière, fera valoir l'application du référendum populaire pour toute nouveauté législative européenne. Ce Sommet européen a révélé, en réalité, que face aux difficultés conjoncturelles de la crise financière et économique mondiale, l'Union européenne se crispe et le «chacun pour soi» s'installe dans la Maison commune européenne. Après tout, la France et l'Allemagne sont-elles si sûres que cela que, dans trois ans, soit fin 2013, leurs déficits publics seront ramenés à moins de 3 % de leurs PIB ? Nicolas Sarkozy prétend même qu'il atteindra ce seuil (3%) fin 2011. C'est-à-dire dans une année. Au vu du climat social qui règne en France, ce pari politique est vraiment risqué, surtout que 2O12 est aussi le rendez-vous pour l'élection présidentielle. Depuis l'apparition de la crise internationale en 2008, les premiers dirigeants européens arrivent dans la Maison commune, chacun avec son «plan national» et se séparent en l'emportant sous le bras, jusqu'à la prochaine rencontre. Avec en sus, un style et un langage violents, comme ceux qu'expriment, ces derniers temps, les rues européennes.