Ne vous fatiguez pas à demander aux dizaines de marchands ambulants qui occupent les rues et places de M'dina Jdida de vous indiquer l'Impasse de Meknès où se trouve le logement d'Ahmed Zabana, une des figures emblématiques de la ville d'Oran. L'histoire de cette partie de la ville d'Oran, son cachet particulier et son devenir intéresse peu de gens qui s'y rendent ou qui y vivent. M'dina Jdida, où passent des milliers de personnes, notamment les femmes, où des sommes d'argent astronomiques changent de main chaque jour, change de peau. Doucement, sans crier gare. L'exiguïté de ces venelles n'empêche aucunement les anciens «haouchs» ou hammams de se transformer en bâtisses de plus d'un étage pour abriter soit un hôtel ou un centre commercial. Les travaux de démolition et de construction engagés un peu partout dans ce quartier ne semblent déranger personne: ni oulad el houma qui pourtant se revendiquent dépositaires de l'oranité; ni les milliers de passants pour qui l'endroit est synonyme des bonnes affaires, encore moins les acquéreurs de ces espaces destinés à abriter des commerces et des affaires. Déjà, des cafés de la Tahtaha, célébrés dans plusieurs chants oranais, il n'en reste que quelques uns. Pourtant, ces établissements où se retrouvaient les «indigènes» à l'époque coloniale et qui s'étaient spécialisés dans la musique orientale et la musique bédouine, avaient été témoins d'une partie de la mémoire collective de la ville. Rien que leurs noms témoignaient du brassage des populations installées dans ce périmètre de la ville: café du Staïfi, café du Msili, café ould Guelati... Un ancien enfant du quartier nous dira que la plupart de ces établissements appartenaient à des gens qui avaient participé à la Première Guerre mondiale sous les drapeaux français, ce qui leur a permis d'avoir des agréments pour ouvrir ces établissements. Parmi les cafés qui ont disparu, nos interlocuteurs nous indiquent que la Place de Sidi Blal était cernée par pas moins de cinq cafés. Tous ont cédé la place à des bijouteries. On nous affirme exactement la même chose concernant la place des Tolba qui était «occupée» par les Gitans et les Marocains qui s'étaient spécialisés dans la vente de thé. Mais de l'avis de tous ceux que nous avons rencontrés, ce sont les hammams, institution ayant assumé un rôle indéniable dans le processus des nouveaux débarqués à la ville d'Oran, qui sont en voie de disparition. La meilleure illustration de l'éclipse de cette institution est le mythique hammam Essaâ (horloge) que certains affirment qu'il appartenait au père de Mohamed Issiakhem, devenu actuellement Hôtel de l'Horloge. Sur la vingtaine de bains qui étaient éparpillés à travers ce quartier il n'en reste que trois ou quatre. A une vingtaine de mètres de Place Sidi Blal, un hammam est destiné à la vente. Un autre, sur la Tahtaha, a été transformé en douches, version moderne du hammam, et en centre commercial. Assumant durant la colonisation et jusqu'à la fin des années 70 du siècle dernier le rôle de dortoir pour les gens de passage à Oran, ces bains ont cédé la place à des hôtels. Ces derniers naissent comme des champignons dans ce quartier. L'Hôtel l'Afrique, le premier construit à M'dina Jdida, a désormais un concurrent dans presque chaque ruelle. Il nous a été impossible de faire le décompte exact «des marchands de sommeil» dans cette partie de la ville. Mais tout porte à croire que le prix de la chambre (ou du lit) ne doit pas excéder les 500 DA la nuit, ce qui explique le nombre important d'Africains sub-sahariens installés dans cette partie de la ville. Dans certaines ruelles, on relève de deux à trois hôtels, distant l'un de l'autre d'à peine quelques dizaines de mètres. C'est notamment le cas de la rue Djilali El Wafi. Mais, la simple lecture des enseignes de ces établissements laisse supposer leur standing et la qualité de leurs services. La plupart d'entre eux portent un prénom d'une personne comme identifiant. Et tous se gardent de verser dans la catégorisation et l'octroi des étoiles, ce qui veut dire qu'ils ne sont pas classés. Mais ces établissements ont l'avantage de perpétuer la mission d'héberger, ne serait-ce qu'une nuit, les passagers à Oran, notamment les commerçants. Les centres commerciaux, eux aussi, se comptent par dizaines à Mdina Jdida, justifiant sa réputation de haut lieu de commerce de tout genre de produits. L'appellation de deux d'entre eux a l'avantage de laisser deviner la provenance des produits que commercialisent ces centres : la Turquie et les pays du Golfe. Sinon, tous, ou à une exception ou deux, proposent l'habillement, notamment les articles pour femmes. Ces centres commerciaux ont été bâtis sur des assiettes d'anciens haouchs (style d'habitat collectif). C'est le cas du fameux haouch lihoudi (juif) se trouvant à la rue Fakir Mohamed. Tous sont repérables parce que comptant plus d'un étage, ce qui tranche avec les boutiques d'antan. L'apparition et la multiplication des centres commerciaux est un phénomène très récent à M'dina Jdida. Le plus ancien remonte aux années quatre-vingt-dix et il a été construit, nous affirme-t-on, sur l'assiette d'une ancienne zaouïa qui était fréquentée par les gens du Sud. Du réseau des anciennes institutions qui faisaient de M'dina Jdida un véritable centre urbain, il ne reste que les mosquées. Même écrasée par ce qui l'entoure, celle de Si Tayeb El Mehadji est toujours debout et reçoit ses fidèles. On peut dire autant de la zaouïa Tidjania de Ben Kabbou ou de la Mosquée de Chrifia. Hormis ces lieux de culte et l'école El Falah, érigée par les badissistes, tout est appelé à disparaître à M'dina Jdida. Déjà, selon plusieurs témoins, le quartier s'est pratiquement vidé de ses anciens habitants. Il y a ceux qui ont préféré s'installer dans d'autres quartiers plus huppés de la ville parce que leurs activités commerciales leur ont permis de s'offrir des villas ou des demeures plus somptueuses. Mais il y a aussi ceux, moins fortunés, qui suite au décès du père ou de la mère ont vendu le bien laissé en héritage, souvent une demeure ou un haouch. En raison du prix du terrain actuellement, certains d'entre ces derniers se mordent actuellement les doigts. Les nouveaux maîtres des lieux, indépendamment de leur lieu de provenance, absorbés tels qu'ils sont par leurs activités commerciales très juteuses et très prenantes, n'ont pas le temps de s'intéresser à l'histoire de ce quartier. Peut-être, ils ignorent que le docteur Nekkache qui vient de nous quitter a sillonné avant le déclenchement de la Guerre de Libération nationale les ruelles de ce quartier. Ils ne se doutent pas que Abdelkader Guermaz, un peintre de dimension mondiale est un natif de M'dina Jdida. Le nom d'Ahmed Saber, père de la chanson contestataire en Algérie, lui aussi fils de Mdina Jdida, n'évoque probablement rien pour eux. Totalement absorbée par le brassage de milliards chaque jour, M'dina Jdida a livré le meilleur de ses enfants à l'oubli. Est-ce l'inévitable tribut au changement ?