17.000 enfants ne vont pas à l'école dans la wilaya de Tiaret. 10.000 cas de sévices sur enfants, dont 2.000 cas d'agressions sexuelles, sont déclarés chaque année dans le pays. Ils seraient cinq fois plus nombreux dans la réalité. Les deux chiffres donnés dans la presse ne relèvent pas du même registre et il serait incorrect sans doute de mettre sur le même plan un père qui, pour des raisons économiques ou par ignorance, n'envoie plus son enfant à l'école et celui qui le maltraite et l'agresse. Pour les cas de maltraitance et d'agression contre les enfants, la répulsion est immédiate et totale. Il serait en effet aberrant de chercher une quelconque circonstance atténuante d'ordre social ou économique à des comportements répugnants. Le plus inquiétant, selon le responsable du Forem qui a livré ces chiffres sur la maltraitance des enfants, est la tendance des citoyens à ne pas se mêler de ce qui les regarde. Car cela les regarde, quel que soit le point de vue où l'on se place : civique, légal et même religieux. Un enfant n'est pas une chose et on ne peut pas considérer qu'il est la propriété d'un adulte au nom du lien de parenté. Regarder ailleurs en disant «cela ne me concerne pas » relève, on le sait tous, de la non-assistance à personne en danger. A plus forte raison quand il s'agit d'enfants. Celui qui commet des violences contre un enfant ou une femme est condamnable, celui qui ne fait rien pour les arrêter l'est tout autant. Nul n'a le droit de faire semblant de ne pas voir quand des enfants sont en danger. Cela semblait évident il n'y a pas longtemps. Apparemment, les années terribles de violence ont émoussé les réactions innées devant des situations insupportables de «hogra». Nous devons réapprendre, à l'évidence, à oublier le funeste «normal» qui sert de code moral à la démission généralisée devant des obligations minimales. Que dire des parents qui n'envoient plus leurs enfants à l'école ? S'ils n'ont rien à voir avec ceux qui se livrent à des violences contre plus faibles qu'eux, ils n'en sont pas moins responsables du fait qu'ils enlèvent une chance à leurs enfants. On peut tout dire du système éducatif algérien mais, même avec ses tares et ses immenses faiblesses, il est pour des enfants de milieux défavorisés une petite chance rare de s'en sortir. Ce qui inquiète dans le chiffre de la seule wilaya de Tiaret est de constater que la forte conviction qui habitait nos parents, pour la plupart analphabètes, que l'école est quelque chose de fondamental, s'est considérablement émoussée. Il est très probable que sur les parents des 17.000 enfants qui ne vont pas en classe à Tiaret, beaucoup doivent aimer leurs enfants, comme nos parents nous aimaient. Ce qu'il faut essayer de comprendre est pourquoi nos parents, à l'aube de l'indépendance, voyaient dans l'école notre salut et pourquoi cette conviction s'est délitée au fil des ans. Il semblerait que des poursuites judiciaires vont être engagées à Tiaret contre les parents. C'est un choix. Mais il serait peut-être plus judicieux que l'Education nationale mobilise des sociologues pour étudier le cas de ces 17.000 enfants. Histoire de comprendre les causes de cette inquiétante régression