C'est un fait, l'Union pour la Méditerranée s'enlise comme l'a montré le récent report du Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement de l'UPM qui devait avoir lieu à Barcelone le 21 novembre dernier. Mais certains dossiers avancent tout de même et parmi eux les projets liés aux énergies renouvelables dont il faut apprendre les nouveaux noms, Medgrid pour Transgreen et Dii pour Desertec. Vendredi 26 novembre, un petit-déjeuner organisé à Paris par l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed) a prouvé que ce thème fait l'objet de toutes les attentions avec la présence de pas moins de soixante-dix participants. Consacrée aux projets solaires et électriques en Méditerranée, la rencontre a mis en exergue le fait que les grandes manœuvres ont bel et bien commencé dans la région. «L'électricité jouera un rôle majeur au cours de la prochaine décennie dans le rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée mais aussi dans la mobilisation des énergies à faible carbone comme le nucléaire, la géothermie, l'éolien et, bien sûr, le solaire», annonce ainsi André Merlin, futur président de Medgrid (ex-Transgreen). De son côté, Paul J.M. van Son, le Directeur général de Desertec Industrial Initiative (Dii), a lui aussi insisté sur le fait que le Nord et le Sud de la Méditerranée doivent «bâtir des projets énergétiques communs pour faire face aux enjeux du vingt-et-unième siècle et renforcer leur complémentarité et leur solidarité». Mais, pour cela, ajoute André Merlin, il faut que les Pays du sud et de l'est de la Méditerranée (Psem) «coopèrent et développent les interconnexions entre eux.» En clair, l'exportation d'électricité «verte» produite par ces pays ne sera possible et rentable que s'ils mettent à niveau leur infrastructure et leurs réseaux. D'ici 2020, ces derniers auront une capacité de production de 20 Gigawatts dont le quart pourrait être exporté vers l'Europe. Selon André Merlin, le maillage électrique du bassin méditerranéen exigera pas moins de 5 milliards d'euros d'investissements puisqu'à ce jour seule l'interconnexion entre le Maroc et l'Espagne a été réalisée en attendant celle qui reliera les réseaux italien et tunisien. Medgrid et Dii sont «complémentaires» et non des concurrents Par ailleurs, la rencontre a permis aux dirigeants de Medgrid et de Dii de donner des précisions quant aux activités et objectifs de leurs structures respectives. Pour la première qui a dû abandonner son nom de Transgreen en raison du fait que cette appellation a été déposée par un particulier il s'agit de «développer les échanges d'électricité entre les deux rives de la Méditerranée». De son côté, Dii qui ne peut plus s'appeler Desertec car, là aussi, le nom est déposé entend promouvoir les projets solaires en Méditerranée et permettre les échanges d'électricité entre les deux rives. «Contrairement à ce qui est trop souvent dit dans la presse, nous n'avons pas 400 milliards d'euros à investir. Nous sommes des facilitateurs, nous pavons la voie pour que ces projets se développent. Cela signifie que nous allons travailler sur tous les aspects qu'ils soient techniques, financiers mais aussi règlementaires», insiste Paul J.M. van Son. Dans le même temps, les deux dirigeants de Medgrid et de Dii clament d'une seule voix qu'ils ne sont pas concurrents. «Nous sommes complémentaires. Il serait idiot de dupliquer le travail, c'est pour cela que nous allons signer un accord de complémentarité entre nous», annonce André Merlin. La répartition semble claire : Dii planchera sur la production et la faisabilité de ses fameuses centrales solaires. Quant à Medgrid, à elle d'étudier la question des infrastructures de transport d'électricité. Les mauvaises langues qui avaient tendance à opposer les deux entités dans un match franco-allemand en seront désormais pour leurs frais Questions sans réponse Il reste que de nombreuses questions n'ont toujours pas de réponse. A ce jour, personne n'est capable de dire si, oui ou non, l'Europe va acheter l'électricité produite au sud de la Méditerranée à un tarif avantageux (ce qui est nécessaire pour rentabiliser les investissements demandés aux Psem). De même, aucune perspective d'accord politique régional ne semble se dessiner. «On ne peut lancer de tels projets dans le solaire sans qu'il y ait une perspective politique et sans que les entreprises publiques du sud ne soient associées», avertit ainsi Abdenour Keramane, ancien ministre de l'Industrie et directeur de la revue de référence MedEnergie. De son côté, Radhi Meddeb, président d'Ipemed, a jeté un pavé dans la mare en posant plusieurs questions dérangeantes. « Quid du transfert de technologie ?» a-t-il demandé. De fait, plusieurs personnalités sud-méditerranéennes commencent à se demander si la construction de centrales solaires au Sud, notamment au Maghreb, ne fera que dupliquer le modèle déjà existant dans d'autres secteurs. Un modèle qui permet à l'Europe d'exporter ses produits technologiques et d'empocher la grosse part de valeur ajoutée. «Va-t-on fabriquer les composants de ces centrales au sud de la Méditerranée ou va-t-on faire comme dans le pétrole, c'est-à-dire être obligés d'importer jusqu'au moindre boulon ?», s'est ainsi interrogé l'expert algérien Mustapha Faïd. Une autre question posée par Radhi Meddeb concerne la finalité des interconnexions électriques. Ces dernières sont présentées comme étant destinées à permettre l'exportation de l'électricité du Sud de la Méditerranée vers l'Europe. «Mais l'inverse est aussi vrai», rappelle le président d'Ipemed. Et de s'interroger : «Est-ce que cette interconnexion ne va pas permettre à l'Europe d'exporter l'électricité qu'elle va produire grâce à l'augmentation de ses capacités ? Et est-ce que cela ne va pas permettre à l'Europe de signifier au Sud de la Méditerranée qu'il n'a pas besoin de centrales nucléaires ?». Autant le dire, ces questions n'ont pas reçu de réponses satisfaisantes. C'est la preuve que beaucoup de choses restent encore à régler en matière d'échanges d'électricité en Méditerranée.