Cela va se passer cette semaine à Alger : le 50ème anniversaire de la déclaration 1514 des Nations unies portant «Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux». Selon des « avant-papiers», y participeront quelques anciens de la belle époque africaine de la décolonisation. On y retrouve même des expressions aussi mortes que Che Guevara et aussi trahies : l'émancipation des peuples, l'autodétermination, etc. En quoi est-ce intéressant pour en parler ? Parce que c'est un sujet fascinant de paradoxes. D'abord, malgré tous les efforts, on ne pourra jamais effacer le ton «rencontre des anciens lycéens de », qui va y peser comme un flou artistique. Ensuite parce que cela va se passer à Alger et ce n'est pas un hasard : c'est la capitale des nostalgies pour cette génération de libérateurs ou de leurs proches, en Afrique et ailleurs. Ensuite parce que l'Algérie incarne avec grandeur et petitesse ce qui reste du mythe de la décolonisation et de «l'émancipation des peuples» : guerre épique, indépendance merveilleuse et heureuse, coup d'Etat inaugural, prise de pouvoir par les casernes au nom de la révolution, socialisme désastreux et émotionnel, réformes des quarante voleurs, émeutes, répressions, dilapidations, immigrations, exclusions, purges et désenchantement durable. S'il y a un endroit où la déclaration 1514 devait se souvenir d'elle-même, c'est peut-être chez nous. Ensuite, s'il faut en parler, c'est parce que c'est une occasion pour se poser les bonnes questions : la rencontre devra se conclure par une déclaration « qui sera rédigée par des personnalités connues mondialement pour leur lutte contre le colonialisme et leur engagement pour la consolidation des indépendances des peuples. Celle-ci sera adressée aux Nations unies et à l'opinion publique internationale ». Pour dire quoi ? On ne sait pas. Combien sont les pays encore colonisés directement et par les cheveux et le pantalon ? Deux ou trois dans le monde. Combien sont les pays où l'indépendance a été ratée ou a été désactivée ? Des dizaines. Combien sont les peuples colonisés par leurs libérateurs ou les enfants de leurs libérateurs ou par leurs propres armes ou « services secrets » ? Des dizaines. Combien sont les peuples du tiers-monde qui ne sont plus émancipés de leurs régimes, où le cinéma est une propagande, les médias une ENTV et la femme un objet maquillé ? Des dizaines. D'où la proposition du chroniqueur : une déclaration 1514-Bis 2. Une déclaration universelle, actualisée, qui ne sera pas signée par des retraités de la décolonisation phase 1, mais par les actuels jeunes de Facebook et des rues et des townships et des harraga, appelant à l'émancipation des peuples par rapport aux nouveaux colons, anciens libérateurs, consacrant le droit des peuples à disposer de leurs TV, terres, médias, ressources et urnes en dehors de toute tutelle historique ou de force des libérateurs. Inscrivant l'autodétermination par rapport aux élections truquées, pétrole volé et opposants exilés ou torturés, demandant l'ouverture des rues, le droit de manifester, « one man, one voice », aujourd'hui, maintenant et ici. Une déclaration 1514 Bis 2, insistant sur notre droit d'être indépendants de nos régimes, d'être libres de nos libérateurs, de nous émanciper de nos tuteurs et se réapproprier le drapeau, l'hymne et le fusil. La raison ? Les peuples qui ont perdu leurs indépendances et leur « droit à l'émancipation » sont plus nombreux que les pays qui sont encore colonisés par l'Occident directement. Nous voulons donc un avenir, pas un anniversaire groupé de quelques rescapés honorables de cette époque assassinée. De l'Algérie au Zimbabwe, il ne reste presque rien, malgré les chiffres et les infrastructures d'équipements de ces indépendances, que ce que chacun peut mettre sous son aisselle avant de détaler en courant. Les chiffres ? En voici deux en ce qui concerne l'Algérie : 8.500 anciens combattants se sont adressés cette semaine à Bouteflika pour demander des prothèses dignes de leurs blessures. Un autre ? Selon un sondage officiel, 30% des jeunes Algériens ne veulent plus vivre en Algérie. Les 70% autres restants se sont même moqués du sondeur et lui ont offert un café. Vive Dessange, vive la 1514 Bis 2, vive la prochaine indépendance !