Force est de constater que la plupart de nos universitaires remettent en cause l'urbanisme aux envergures idéologiques de l'Etat algérien. Incohérence des politiques nationales, contradiction de celles-ci avec les politiques locales et méga programmes d'habitat (présidentiels) dits « d'adaptation » établis sans recherche de la qualité, sont les principales caractéristiques de l'urbanisme tel que le pouvoir centralisateur d'Alger le pratique depuis l'indépendance au nom de la nécessaire réponse à la crise de logements, l'aspiration au progrès et le désir de moderniser le pays. Historiquement parlant, l'urbanisme algérien est un continuum. On ne peut saisir son évolution si, en premier lieu, l'on ne rappelle pas que ce sont des individus de la génération de la Révolution algérienne qui persistent au pouvoir, qui sont pour beaucoup responsables des dégâts environnementaux que nous subissons en milieux urbains et en milieux ruraux. Concrètement, dès l'indépendance, l'Algérie reconduit l'urbanisme du Plan de Constantine de 1958. Cette reconduction est en soi une erreur de stratégie fatale pour les Algériens, puisque l'Etat algérien, dans le fond, a reconduit la gestion autoritaire politico administrative de l'urgence de ce Plan qui ne pouvait être qu'en adéquation avec les aspirations despotiques des premiers dirigeants. Dans de nombreuses contributions sur le plan professionnel, DELUZ (Jean-Jacques) explique que ce plan a servi à combattre la création des urbanistes et architectes talentueux et a donné l'avantage au travail collectif selon lequel les responsabilités se diluent et ne sont pas du coup identifiables. D'emblée, en soif d'affirmation sur les scènes nationales et internationales, l'Etat algérien engage une série de mesures par lesquelles il visait la réalisation de méga projets économiques, comme la réalisation de grandes industries qui n'ont, pour la plupart, jamais atteint les objectifs escomptés. Cette politique qui persiste à ce jour est généralisée à tous les domaines et se traduit par la réalisation en grande pompe des plus grandes universités, des plus grands hôpitaux, jusqu'aux actuels méga projets de logements et récentes plus grandes mosquées. Des projets qui ne sont dans le fond que des « investissements de prestige »(1) qui font la gloire du pouvoir centralisateur que celui du peuple. La gestion de ces structures pose de grands problèmes en termes de moyens humains, matériels et d'administration sécuritaire. Pour de nombreux observateurs, ces projets décidés pour la plupart dans le giron des hauts responsables traduisent le caractère autoritaire des politiques nationales esquissées pour la plupart dans des perspectives idéologiques plutôt passéistes(2). Les répercussions de cet urbanisme sur l'environnement, dont les dépendances de la rente pétrolière sont incontestables, témoignent du caractère hermétique de la logique politico administrative qui l'anime. Ses dégâts sont la conséquence de sa précipitation dans les rapports de forces que suscitent les désastres de la gabegie des intérêts financiers et fonciers des individus, issue particulièrement, dès les années 1990, de la gestion incompétente des biens et des intérêts d'Etat. Durant cette décennie, le pays à feu et à sang a servi de toile de fond aux autorités locales, mairies et agences foncières, pour pratiquer une dilapidation des biens agricoles qui est sans aucune mesure avec ce que les périphéries de nos villes ont pu connaître auparavant(3). Cette situation gravissime pour la sécurité du pays est affermie, dans le domaine de l'habitat, d'une double crise de l'urbanisme : celle qui n'est pas liée spécialement à la rareté du logement (social), mais plutôt aux injustices de sa distribution, et celle qui est liée à sa réalisation en masse et qui a fait bondir dans la presse nationale de ces dernières années des scandales financiers, engageant l'implication dans certains cas, la responsabilité de hauts décideurs nationaux et/ou des membres de leurs familles. Dans cet ordre d'idées, les émeutes et les luttes urbaines n'ont jamais été aussi importantes que ces dernières années. Elles témoignent du mal-vivre des populations urbaines, particulièrement dans les quartiers pauvres où le déplacement des gens déshéritées est devenu systématique, sans aucune autre garantie que de leur offrir des logements exigus au sein de cités-dortoirs éloignées et ne correspondant pas généralement à leur taille cellulaire. Dans les mairies, les populations manifestent souvent leur mécontentement vis-à-vis des listes des attributaires de logements et/ou de locaux commerciaux, et ont, dans de nombreux cas, recouru à l'usage de la force pour l'exprimer, comme de dresser des barricades, brûler les équipements publics ou même s'opposer violemment aux forces de sécurité. L'urbanisme du pouvoir centralisateur algérien, malgré les formules monumentales qu'il affiche, que ce soit dans le domaine de l'habitat ou autre, suscite un sentiment d'injustice et de lassitude général. Ces projets ne sont pas à la hauteur de la qualité exigée dans les discours officiels et ne semblent pas satisfaire, comme souhaité, les aspirations des Algériens. Sa régie des besoins est en net décalage avec le désir des populations de vivre dans des villes où l'on peut à la fois habiter, s'amuser et s'épanouir, sans sentir le chaos des paysages désertifiés, appauvris et sans aucun doute désorganisés. Cet urbanisme est pour beaucoup dans l'absence de débat sur l'architecture. En effet, l'urbanisme opérationnel entrepris depuis l'indépendance a privilégié la voie de l'ingénierie au détriment de la maîtrise d'œuvre, également dans le cadre de l'enseignement de l'architecture, si bien que la recherche de l'esthétique comme une fin en soi est perçue dans la tête des décideurs comme une perte de temps. Les constructions des particuliers n'ont rien à envier aux projets publics qui ne se démarquent aucunement par la recherche de la qualité, et qui témoignent fortement leur contradiction avec les discours officiels sur la nécessité du développement durable. Les nouveaux quartiers sont un mélange de jets maladroits, constructions légales et illégales, qui ont pour dénominateur commun : la médiocrité. Ce sont généralement des territoires de l'inachevé, du fait accompli, qualifications que nous attribuons nous-mêmes à l'urbanisme algérien. Notes 1- Il s'agit d'une expression que nous empruntons à DELUZ (Jean-Jacques). 2- En outre, le projet de Bouteflika, la grande mosquée d'Alger, lors d'un récent entretien réalisé par un architecte algérois, est qualifié par NIEMEYER (Oscar) de projet passéiste, et selon nous, sans aucun intérêt architectural. In Architecture. Dans l'atelier d'Oscar Niemeyer : Construire l'émotion, in El Watan, par FAIDI (Halim), 19 décembre 2009. 3- Nous avons nous-même publié des articles sur ce type de question dans la presse nationale, dans lesquels nous avons tenté d'expliquer que les outils d'urbanisme détournés de leur objectif de gestion rationnelle de l'espace ont servi à un grand nombre de responsables à leur trafic foncier.