Dans un pays où ne pas envoyer son enfant à l'école est un délit désormais passible d'emprisonnement, que fait l'enseignant une fois sorti de sa classe ? «Il devient un bon à rien», avait un jour déclamé un célèbre écrivain de l'ex- Gaulle. Mais sous nos latitudes désenchantées, cela vaut-il la peine de s'interroger sur la place réelle laissée dans nos triviales préoccupations quotidiennes au métier d'enseigner quand on constate la tête «éviscérée» que le savoir est en congé depuis des années ? Parce que, paraît-il, personne n'a le temps de penser à s'instruire lorsque le ventre et les poches sont vides, à la mesure de l'échelle «brisée» de nos valeurs à nous, celui qui a l'école pour vocation ou même pour un simple métier (pas) comme les autres, ne peut rien représenter aux yeux de plus nantis que lui qu'un raté, un khobziste, un col usé miséreux, et même misérable, condamné à consommer sa carrière «castrée», un peu comme un athlète qui fait la course en tête mais finit toujours bon dernier de la classe. Dans une contrée où le mot «culture» ou «intellectuel» sonne comme une injure, le propre d'une société déboussolée est justement de vivre au temps de l'affairisme tous azimuts et ne croire en rien d'autre qu'en la religion du lucre à tout prix. Qui se souvient encore de cet «instit» des années soixante-dix, pauvre mais digne, mal sapé mais propre de corps et de biens, humble mais drapé d'une aura de prophète vivant du Savoir ? Parce que l'ignorance est mère de tous les vices, le «tebbgar» en V.O., le «navigage» ou le charlatanisme «éclairé» tiennent lieu d'une «culture» prédatrice à laquelle ne peuvent échapper que les âmes bien nées. La «douloureuse» à payer pour ce renversement sens dessus dessous des valeurs de notre société est extrêmement élevé. Il suffit, pour perdre le nord, de constater qu'un pays qui consacre presque la moitié de son budget depuis l'ère de la liberté recouvrée au secteur de la formation et de l'enseignement se retrouve un demi-siècle plus tard avec dix millions d'illettrés sur les bras. Et comme un pays qui se retrouve avec autant de «rebut» désarrimé d'avec le train du Savoir et de la Connaissance ne peut suivre le TGV du développement, il y a de quoi craindre pour un retour désastreux vers l'abîme d'avant l'indépendance. Le jour viendra, peut-être où, plus que le médecin, l'avocat où le politique, l'enseignant et son job de toutes les peines sera le plus exaltant de tous les gagne-pain que le pays se prémunisse contre la calamité de l'ignorance et son lot de séismes en tous genres. Le jour viendra, peut-être où celui qui a pour métier d'apprendre aux autres à lire et à écrire devienne le maillon le plus fort dune société transformée en une immense chaîne alimentaire, avec de la place qu'à ceux qui savent manger à midi pour ne pas être dévorés crus la nuit tombée. Il faut tout faire, absolument tout, pour que le »mouâalim» devienne justement le Bon à tout, le prophète d'un avenir meilleur, l'ennemi juré de l'En-Sait-Néant (et ils sont nombreux), l'apôtre de l'anti-obscurantisme et de la religion des Lumières.