L'armée tunisienne peut être appelée à jouer l'arbitre dans le bras de fer que se livrent le gouvernement de transition dirigé par Mohammed Ghannouchi et les manifestants qui en réclament le changement. C'est en tout cas ce que laissent présager les signaux émis lundi par son chef d'état-major, le général Rachid Ammar, tant à destination du gouvernement de transition contesté que de la foule qui assiège le palais gouvernemental. A celle-ci, le général a promis que l'armée se portait «garante de la révolution», mais en la mettant en garde que les troubles de la rue créent le «vide qui engendre la terreur qui engendre la dictature». Au premier, il a fait comprendre que les militaires ne font pas exigence de son maintien. Tout reste à savoir comment les protagonistes du bras de fer ont décodé les signaux du chef de l'armée. Et en premier lieu, quelle conclusion en tirera le président par intérim du pays. Lundi, après la déclaration faite par le général Rachid Ammar, la rumeur s'était répandue à Tunis que des décisions allaient être annoncées dans la soirée ou au plus tard mardi matin. Il n'en a rien été, du moins jusqu'au moment où le présent article a été rédigé. La confrontation entre le gouvernement de transition et la foule qui lui est hostile se poursuit : le palais gouvernemental est toujours assiégé et de nouveaux manifestants convergent sur la capitale, venant de tous les coins de la Tunisie. En s'installant dans la durée, le bras de fer risque de conduire à cette situation de vide dont le chef d'état-major de l'armée a clairement énoncé la conséquence qu'elle pourrait avoir pour la Révolution du jasmin. Il est évident que du côté des successeurs du régime de Ben Ali, l'on a misé sur l'essoufflement de la contestation populaire dont ils sont l'objet. Le président par intérim Ghannouchi et son équipe font le dos rond et campent sur leur refus de céder à la revendication primordiale des manifestants qui est le changement du gouvernement de transition. Du côté de la rue, on fait monter la pression, comme le prouve la grève déclenchée par les enseignants, qui peut faire tache d'huile à d'autres secteurs d'activité, pour peu que l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), acquise au changement revendiqué par les manifestants, en prenne l'initiative. Si un tel développement vient à se produire, il est fatal que la Tunisie en sera paralysée. A ce stade, l'armée pourrait être contrainte de se départir de la neutralité qu'elle observe entre le gouvernement de transition et ses contestataires. C'est peut-être ce à quoi vise l'entêtement des proches de l'ex-dictateur propulsés dans le gouvernement de transition. Leur calcul partant de la conviction qu'une transition conduite par l'armée serait moins périlleuse pour leurs intérêts et sauvegarde personnels que celle ayant pour acteurs des personnalités bénéficiant du soutien populaire et acquises aux changements inscrits dans les revendications de la Révolution du jasmin. Les heures qui viennent vont être décisives en Tunisie. L'on saura si la Révolution du jasmin va être en mesure de faire sauter l'ultime barrage que lui a opposé le clan du dictateur déchu, sans offrir à l'armée le prétexte d'entrer en politique avec tous les risques que ce rôle comporte en terme de confiscation des droits individuels et civiques dont les Tunisiens viennent à peine de bénéficier.