Vingt-quatre heures après sa formation, le gouvernement de transition dit «d'union nationale», dirigé par Mohammed El Ghannouchi, vit sa première crise politique. Trois ministres appartenant à la puissante centrale syndicale, l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), ont démissionné sous la pression de la base syndicale. Nous nous retirons du gouvernement à l'appel de notre syndicat», a déclaré M. Dimassi qui avait été nommé la veille ministre de la Formation et de l'Emploi.Le secrétaire général de l'UGTT, Abdelsalam Jerad, a expliqué avoir demandé lundi au Premier ministre M. El Ghannouchi de «reporter l'annonce du gouvernement pour permettre des consultations avec les autres forces politiques. Mais il a refusé et nous n'acceptons pas cette précipitation». Il a reproché au gouvernement de compter parmi ses membres «des barons de l'ancien régime qui avaient participé à la répression et à un système de dictature». Le patron de la centrale syndicale dit ne plus reconnaître le gouvernement d'El Ghannouchi. L'UGTT, dont les structures de base ont joué un rôle important dans les événements ayant provoqué la chute du président Ben Ali, a participé avec trois ministres : Abdeljelil Bédoui, ministre auprès du Premier ministre, Anouar Ben Gueddour, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Transports et de l'Equipement, et M. Dimassi, ministre de la Formation et de l'Emploi. Les critiques de la rue et de l'opposition radicale ont amené aussi le Forum démocratique pour le travail et les libertés à suspendre sa participation au sein du gouvernement provisoire. Son chef, Mustapha Ben Jaâfar, nommé la veille ministre de la Santé, «a gelé sa participation tant que les ministres de l'UGTT ne reviennent pas au gouvernement». Plus tard dans la journée, l'autre parti de l'opposition qui a intégré le gouvernement de transition, Ettajdid, a menacé de se retirer également du gouvernement si «le Premier ministre et le président par intérim ne se retirent pas du parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD)».Acculés par la rue qui continue d'exiger le départ de tous les symboles de l'ancien régime d'un côté et, d'un autre, le retrait en cascade des ministres du gouvernement de transition, MM. El Ghannouchi et Mebazaa ont annoncé leur retrait du RCD dans une tentative d'absorber la colère des opposants. Mais la rue tunisienne et l'opposition ont estimé que c'était «insuffisant» ; elles réclament tout simplement d'eux de disparaître du paysage politique. De nombreuses manifestations ont été organisées, hier, dans plusieurs villes du pays, demandant la dissolution du RCD et la constitution d'un vrai gouvernement d'union nationale, sans les hommes de main du président déchu. Ainsi, le conseil national de l'Ordre des avocats de Tunis a appelé à la formation d'un gouvernement «de salut national, représentant tous les courants politiques et organisations nationales et professionnelles, sans exclusion ni discrimination de quelque forme que se soit, à l'exception du RCD». Pour l'organisation des avocats, le gouvernement annoncé «ne correspond pas aux exigences pour lesquelles s'est sacrifié le peuple tunisien» et «ne répond pas aux exigences de l'étape, qui suppose de mettre à l'écart tous les membres inféodés à l'ancien régime». L'évolution rapide des événements indique que M. El Ghannouchi ne fera pas long feu à la tête d'un gouvernement décrié par la majorité des Tunisiens. Par ailleurs, la journée d'hier a été marquée par le retour de nombreux exilés politiques au pays, à leur tête l'opposant historique Moncef El Marzouki, président du Congrès pour la République, que beaucoup d'observateurs présentent comme «le futur président de la Tunisie car il incarne le changement et porte les aspirations démocratiques du peuple tunisien».