Les greffiers ont poursuivi hier leur grève, déclenchée mardi dernier. L'on peut désormais parler d'un débrayage national dans la mesure où la quasi-totalité des juridictions du pays, y compris la Cour suprême, sont touchées par l'action revendicative du corps de greffe. L'incidence du mouvement sur l'activité judiciaire, en général, reste toutefois «modérée», puisque le service minimum est assuré. Dans certaines cours, à l'instar de celle d'Oran, la notion du service minimum est prise au «lato sensu», les grévistes assurant une large gamme de prestations : les audiences du criminel et du pénal, les recours, les oppositions, les permis de communiquer au profit des familles de détenus, les casiers judiciaires B2 et B3 et le certificat de nationalité. De fait, la situation reste pour autant assez inquiétante. Le spectre d'une grève persistante, avec d'éventuels effets de contagion, plane sur les tribunaux. Conscient de cette conjoncture délicate, le ministère de la Justice multiplie les mesures d'apaisement et les engagements de bonne foi. Après la note d'information adressée aux greffiers via ses administrations locales, les cours et les tribunaux, leur garantissant «une prochaine augmentation de primes», le département de Tayeb Belaïz rassurait hier, par l'intermédiaire des procureurs généraux, les greffiers, que «leur dossier (portant leurs doléances) a été transmis au premier ministre.» Les parquets généraux des cours ont été chargés par la chancellerie de répercuter cette information en misant sans doute sur l'effet de la «bonne nouvelle» susceptible d'amener les grévistes à retourner à leurs postes. Les représentants du ministère public ont beau plaider la teneur du message «sincère et positif» de leur tutelle, invitant les greffiers à se remettre au travail, ces derniers n'ont pas été convaincus. Pourtant, ils ont reçu, dans la même journée, un autre signal positif qui venait, celui-ci, du Syndicat national des greffiers algériens (SNGA), sous forme d'un communiqué émanant de son bureau national. «Le dossier relatif au régime indemnitaire présenté à la tutelle est en cours d'achèvement et sera, dans un proche délai, mis en application, avec une augmentation plus que nous l'imaginions ou rêvions, et qui sera d'un grand apport pour tous les fonctionnaires de greffe, en plus des primes supplémentaires très motivantes », lit-on, notamment, dans le communiqué de ce syndicat. Cependant, la majeure partie des greffiers et des greffières interrogés au niveau de la cour d'Oran et ses six tribunaux, et selon les échos qui nous sont parvenus des différents cours et tribunaux à travers les quatre points cardinaux du territoire national, le communiqué du SNGA a été pris avec beaucoup de défiance, voire d'incrédulité, de la part des grévistes. Il semble que le Syndicat national des greffiers algériens ne jouit plus de crédit auprès de la masse de la corporation, comme en témoigne le rapport très disproportionné des «non syndiqués» aux «syndiqués». Il faut dire que la représentativité de ce syndicat est remise en cause, en termes exprès, par des greffiers dans leurs lettres de revendications. Et c'est là l'une des grosses problématiques auxquelles font face la tutelle et, par ricochet, l'Etat, pour gérer la protesta des greffiers : l'absence de représentants du partenaire social, la défaillance d'interlocuteurs à même de jouer le rôle de couroi de transmission entre les deux compartiments. Ceci étant, d'après un «sondage» d'opinions auprès des concernés, trois sur quatre greffiers croient en la sincérité des promesses du ministère de la Justice, notamment sur le volet salarial, mais ils reprochent à l'administration de Tayeb Belaïz «ce petit vide, cet ambigu et imprécis qui ont toujours existé dans tous les engagements, verbaux ou écrits, du ministère de tutelle». En clair, la majorité des greffiers réclament qu'on leur dise : «Quand exactement les nouvelles augmentations de salaires entreront en vigueur ? Quels sont les taux d'augmentation du salaire de base et des primes ? Quand le nouveau statut des greffiers, qui prend en considérations leurs revendications, sera promulgué ?» A défaut de pouvoir répondre à ces interrogations, notamment en raison des contraintes liées aux démarches inhérentes à l'approbation de ces dossiers qui dépassent, de par leur consistance, leur vocation et leur impact financier, de loin le seul ressort du ministère de la Justice, celui-ci promet néanmoins, selon nos sources, que «des augmentations de salaires conséquentes seront opérées d'ici le mois de mai prochain, avec effet rétroactif depuis le 1er janvier 2008». Par ailleurs, selon une lettre signée - avec cachet - par «le bureau du syndicat des greffiers du tribunal El-Hadjar», dépendant de la cour d'Annaba, les greffiers exerçant au niveau de ce tribunal dénoncent «des pressions et des menaces exercées sur nous par certains magistrats pour reprendre le travail et assurer la fonction du greffe aux audiences.» Selon les mêmes fonctionnaires, «ils ont amené un huissier de justice qu'ils ont mis au lieu et place du greffier d'audience, en violation de la loi des textes régissant le déroulement des audiences, et ce, au nom du service minimum». Les rédacteurs de la lettre ont sollicité le ministre de la Justice Tayeb Belaïz pour ouvrir une enquête sur ces «faits graves».