Désormais, une tradition s'installe. Celle dite des quatre discours face à la foule devenue un peuple et qui veut un pays, pas une concession. Quatre discours prononcés généralement en deux semaines, par le dictateur du moment sélectionné par la Révolution. Dans le premier, cerné par le feu et la colère, confronté à des départs d'émeutes et à d'insolentes révoltes, le dictateur Ali Baba se présente au peuple par le biais de sa télé à lui et accuse : «Les terroristes, les islamistes et la main étrangère et des bandes de délinquants et de casseurs». Tous les maux du diable sont convoqués : Ben Laden, la menace d'El Qaïda, les hallucinogènes, la drogue, la CIA ou les «Services occidentaux». Le dictateur dissout alors le gouvernement, donne du sucre et de la semoule et rentre chez lui, confiant dans son avenir, certain que le peuple, généralement peureux et obéissant, n'ira pas plus loin. Dans le second, Ali Baba se représente à la télé et fait le 2ème discours après les premiers rapports des Moukhabarate sur la violence de la protestation, l'élargissement de sa géographie et les premiers bilans des morts qui scandalisent les Occidentaux : «Je vous ai compris», lance, magnanime, le Ali Baba, «La police ne va plus vous faire du mal. Je dissous le Parlement et je rétablis la liberté d'aller sur la lune sans agrément et j'organise des élections dans deux ans et vous m'aimez car vous aimez ce pays». Le discours en appelle à l'amour, la culpabilisation, les ancêtres et le sacrifice du dictateur qui a sacrifié sa vie à rendre le peuple heureux, c'est-à-dire lui-même, sa femme, son frère et ses fils. Puis le dictateur rentre chez lui mais en jetant des regards derrière son dos pour voir s'il n'y a personne qui veut lui prendre la télécommande. Son ministre de la Défense est surveillé, son ministre de l'Intérieur est inquiété, son directeur de Banque Centrale est invité à manger et sa TV lance des chants patriotiques et zoome sur les injazate (les réalisations glorieuses). Dans le 3ème discours, le dictateur se représente à la télé encore une fois, mais avec un costume fripé, moins de gardes du corps fidèles, sans sa femme qui a déjà pris un avion et des bijoux, et avec moins d'assurance : «J'organise les élections demain à la 1ère heure. Je ne me présente pas. Ni mon fils. Ni mon frère. Je rends l'argent et le pays que je n'ai pas volé et je vous tends la main». L'émeute est devenue une Révolution, les places publiques sont devenues des maquis, les alliés s'enfuient, les diplomates basculent, le Palais est cerné, lui qui a cerné le pays depuis toujours, et même les cuisiniers ne sont pas venus au matin. Le 3ème discours est celui de la fin, de l'armée qui décide sur décision du peuple. C'est le moment jamais envisagé où le temps une corde au cou et la fortune un lacet de chaussures. Ali Baba sait. Désormais. Généralement, il existe un 4ème discours. Il n'est jamais diffusé. On y voit un homme qui tremble en arrangeant le micro, qui regarde sans comprendre une histoire qui n'est plus la sienne et qui est poussé du dos par des militaires pendant qu'il téléphone à des présidents amis pour réserver une chambre solo pour une nuit de transit. Le 4ème discours ne sera jamais diffusé. Il est remplacé par un avion et un communiqué de démission. La foule est remplacée par le peuple, la terre par un pays, l'avenir est remplacé par une promesse et le chant est si haut qu'il en devient un galon. Parfois, l'ordre des trois discours n'est pas respecté : le boucher de Tripoli l'a démontré mais l'esprit reste le même : déni, accusations, menaces, excuses, supplication, débandade. Ah, qu'ils sont sublimes les temps nouveaux ! L'Histoire n'est plus dans les livres mais dans les rues. Au pas de la porte. Mangeuse d'hommes mais accoucheuse de l'avenir. Aujourd'hui, tout le monde peut avoir une histoire nationale et pas seulement les dictateurs !