Entre la lettre de Mehri au président, le meeting du FFS et le discours du PT se dessinent les contours d'un changement politique que le pouvoir a dû avaliser avant même que les citoyens n'en prennent connaissance. La lettre que l'ancien secrétaire général du FLN a adressée au président de la République, en février dernier, constitue à elle seule, la trame d'une stratégie de changement politique que le pouvoir semble prêt à mettre en place. Abdelhamid Mehri n'a jamais été un manœuvrier. Avant d'agir son profil d'homme légaliste l'a toujours tenu au respect de la règle, de la forme et du fond des institutions de l'Etat. Il semble bien qu'avant de rendre publique sa dernière lettre, il l'avait d'abord soumise à réflexion au chef de l'Etat en personne. Il en a d'ailleurs presque fait le préambule en mettant en avant «les liens de fraternité» qui l'unissent à Bouteflika. Il ne se prive pas cependant de lui rappeler «la franchise qui prévalait dans les délibérations des instances dirigeantes de la Révolution algérienne ( ) et (qui) était ( ) certainement préférable au silence complice ou à l'assentiment dénué de conviction.» Il le convainc ainsi d'agir. Mehri pose les jalons «d'un changement pacifique souhaité» en appelant le président à «libérer les larges catégories sociales du cercle de l'exclusion et de la marginalisation pour les faire entrer dans une citoyenneté responsable et active.» Le pouvoir devra se passer ainsi de la légitimité historique qui, insinue Mehri, a toujours gouverné par l'exclusion. L'ex SG du FLN propose alors la tenue «d'un congrès national général» dont la composante émergera «des séminaires, des groupes d'évaluation, des amicales de solidarité ( ) des centaines d'initiatives qui peuvent éclore de cet appel et se multiplier sans être dictées par le haut ( ).» Le Parti des Travailleurs (PT) et le Front des Forces Socialistes (FFS) semblent s'être déjà inscrits dans cette dynamique en optant pour la tenue de meetings et de rencontres de proximité. «Je veux t'assurer de l'importance et de l'intérêt que je porte à ta contribution. Elle représente, dans la crise actuelle, une initiative forte et pertinente,» souligne Aït Ahmed, président du FFS, à l'attention de Mehri. Le FFS a d'ailleurs fait «du changement pacifique» un slogan bien voyant dans son premier meeting qu'il a animé vendredi dernier à la salle «Atlas» d'Alger. Le PT lui, de par les liens de sa présidente avec les hautes sphères du pouvoir, a déjà la feuille de route en main. Son appel pressant pour la dissolution de l'ensemble des assemblées élues en est l'ossature. Ce qui constituerait une solution de cause à effet, tout à fait conforme à l'appel de Mehri. Soutiens américains sur fond de suggestions et d'intérêts L'on reconnaît que cette demande a, depuis longtemps, été le leitmotiv du PT. Mais il est clair qu'elle a été fortement inspirée par le sentiment de rejet exprimé très tôt par le chef de l'Etat à l'égard d'un parlement très mal élu. Son recours répété à l'ordonnance en a été le signe le plus édifiant. L'on relève que les états-majors des partis commencent à bruisser en prévision d'élections anticipées «même s'il n'y a rien d'officiel». Des sources proches d'El Mouradia avancent que Bouteflika a admis l'idée d'une dissolution de toutes les instances élues, à commencer par le parlement. L'idée d'une profonde révision de la Constitution telle que prônée par le SG général du FLN depuis plusieurs mois, pourrait aussi figurer dans la feuille de route que le pouvoir compte mettre en œuvre. Notons que le président du MSP l'a reprise à son compte, ces derniers temps. Il pense tout autant que Abdelaziz Belkhadem, qu'une révision de la Constitution, dans ses dispositions les plus controversées, constituera cette caution dont ont besoin les citoyens pour croire que le régime accepte d'être changé. La révision de la Constitution -encore une fois- faut-il le souligner, a été d'abord acceptée par le président de la République avant d'être une revendication partisane. Contrairement à ce qui se passe dans les autres pays de la région, l'Algérie apparaît comme l'exception qui ferait éventuellement la règle. Les Etats-Unis soutiennent, dit-on, toute idée de changement politique «pacifique» que le pouvoir se devra d'opérer pour satisfaire les revendications citoyennes. La personne du président serait, aux yeux des Américains, la plus apte à accompagner les concepteurs de ses différentes étapes. Le séjour d'importants responsables américains à Alger en un laps de temps court, paraît spécifier ce choix. Il n'est pas question pour les Américains de voir leur proche allié dans la lutte contre le terrorisme qu'est l'Algérie, perturbé ou déstabilisé. Il y va de la préservation de leurs intérêts dans la région. Leur seule «suggestion» pour ne pas dire instruction est «l'ouverture démocratique du pays» sans casse. Des signes avant-coureurs de ce «changement pacifique souhaité» se font d'ores et déjà visibles et audibles. Ils résonnent des plus hautes instances du pouvoir. Des partitions pour un changement politique Il est rapporté à cet effet, que par deux fois, la ministre de la Culture a osé exprimer des reproches à l'égard du Premier ministre et de l'ensemble de l'équipe gouvernementale. Comme paru déjà dans la presse, Khalida Toumi a reconnu dans un conseil présidé par Ouyahia que le gouvernement a échoué dans ses missions politiques, économiques et sociales. Elle claquera même la porte du conseil après avoir entendu Ouyahia dire qu'un gouvernement on le respecte ou on le quitte. Toumi récidivera lors du dernier conseil des ministres lorsque Bouteflika demandera à ses membres s'ils avaient des questions. La ministre de la Culture lui aurait fait savoir que les décisions qu'il avait prises sont bonnes mais qu'il «n'avait ni orchestre ni chef d'orchestre pour les mettre en œuvre.» Elle sera soutenue par El Hadi Khaldi de la Formation professionnelle. Le président aurait pris acte après avoir interrompu sèchement un autre ministre qui aurait commencé par l'encenser. L'on admet que Toumi n'aurait jamais agi d'une manière aussi frontale si elle n'avait pas eu auparavant le feu vert. De multiples partitions commencent ainsi à être exécutées au fur et à mesure que le pouvoir réfléchit et réajuste sa stratégie «du changement.» Il semble dans ce cas, que le limogeage d'Ouyahia ou de son gouvernement ne constitue pas véritablement l'essentiel de ce que Bouteflika prévoirait de faire. Ce qui paraît évident de prime abord, c'est que le pouvoir cherche, avant toute chose, à faire table rase de ce qui a suscité jusqu'à aujourd'hui, d'importantes frictions au niveau des gouvernants. Il est prévu à cet effet, que l'ensemble des dossiers mettant en cause une ou autre partie à ce niveau, soient classés sans même chercher à en solder les comptes. Qu'ils s'agissent de scandales de corruption, de crimes politiques entre autres l'assassinat de Boudiaf, du dossier des disparus, de décisions politiques injustes, «tout devra disparaître» pour laisser place à une démarche de changement politique qui emporterait inévitablement sur son chemin des hommes et des institutions. Une sorte d'amnistie générale qui ne dit pas son nom mais qui devrait être entreprise pour mettre à plat de lourds contentieux. L'effet escompté serait de blanchir le pouvoir avant sa chute. Le 16 février dernier, les trois patrons de l'Alliance présidentielle s'étaient entretenus à huis clos, au siège du FLN. Des échos de cette rencontre ne font aucun doute sur ce qui pourrait intervenir dans peu de temps sur la scène politique nationale. L'on a su que Belkhadem et Boudjerra avaient dit à Ouyahia qu'il était temps qu'il parte du gouvernement sous prétexte qu'il avait échoué. Réponse du Premier ministre «si je pars, nous devons tous partir.» L'allusion est certainement pour signifier que c'est la fin de l'Alliance présidentielle. Alliance que Bouteflika compte bien s'en débarrasser le plus vite, si l'on s'en tient à des sources qui lui sont proches. Ces sources pensent que le changement politique pourrait être enclenché dans moins de trois mois. Mehri et Ait Ahmed partagent l'idée que le cinquantième anniversaire de l'indépendance pourrait en marquer la fin. «Le temps qui nous sépare de cette grandiose occasion est suffisant, selon moi, pour parvenir à un accord entre Algériens pour le changement pacifique souhaité,» écrit Mehri dans sa lettre au président de la République.