Face à un Sarkozy très impopulaire et dans un PS qui tarde à désigner son champion, François Hollande pourrait bien créer la surprise Les sondages s'accumulent et délivrent, de façon lancinante au parti au pouvoir, un message aussi inquiétant que vénéneux pour la majorité actuelle : Sarkozy va dans le mur ! Une dernière enquête de l'institut Ipsos ne le crédite que de 17% des intentions de vote aux élections présidentielles de 2012. Le débat qui anime aujourd'hui, les rangs de la droite est moins «peut-il gagner ?» que «faut-il qu'il se présente ? ». En règle générale, sous la Vème République, les présidents sortants se représentent et se font réélire. Cela a été le cas pour Charles de Gaulle, François Mitterrand et Jacques Chirac, même si le général n'a pas achevé son second septennat et si François Mitterrand et Jacques Chirac ont dû, dans des périodes de cohabitation, composer avec des majorités hostiles. Georges Pompidou, frappé par la maladie, n'a pu achever son 1er mandat. Et Valéry Giscard d'Estaing, gagnant dans tous les sondages n'a pu accomplir un second mandat, perdant devant Mitterrand qui avait su reconstruire un parti socialiste vermoulu. Il est donc de tradition qu'un président sortant affronte à nouveau la candidature au poste suprême. Dans tous les cas de figure et connaissant le caractère particulièrement pugnace de Nicolas Sarkozy, il est infiniment peu probable que celui-ci ne jette pas toutes ses forces dans cette nouvelle bataille. Quels que soient ses échecs et son impopularité actuelle, ce diable d'homme peut encore la gagner. Il dispose des rouages de l'appareil d'Etat, d'un parti, l'UMP qui, même divisé et inquiet, bénéficie d'une implantation nationale ancienne, de nombreux élus qui savent bien que leur sort est aujourd'hui indéfectiblement lié au sien. Pour le bon et pour le mauvais. C'est d'ailleurs la seconde issue qui les panique. Dans les rangs de l'UMP, peu de responsables n'arrivent néanmoins à comprendre la tactique sarkozienne. Pariant sur un glissement à droite supposé de l'électorat, le président actuel parierait sur la surexploitation de ses deux thèmes de campagne fétiche l'immigration et l'insécurité pour attirer l'électeur rétif. Jusqu'à présent cela n'a fait que conforter le Front national, dirigé d'une main habile «Jeanmarine le Pen ». Autre variante de calcul électoral, aussi tortueux qu'improbable, Nicolas Sarkozy favoriserait volontairement la montée du FN pour pouvoir l'affronter facilement au second tour, une fois le candidat du parti socialiste, éliminé Tactiques de gribouille. Le principal problème que doit affronter l'actuel président est son impopularité croissante. Quelles que soient ses prises de positions, quelle que soit l'efficacité de ses décisions, quelle que soit la vertu de ses engagements (il doit bien y en avoir un peu ), la moindre de ses initiatives nourrit, chez un grand nombre de Français, une réaction aussi épidermique que certainement parfois injuste : Nicolas Sarkozy agace. Il n'est pas le premier président à être impopulaire, il l'est à l'être aussi viscéralement. Le contrat de confiance est à ce point ébréché que les stratèges de l'actuelle majorité parient moins sur leur potentiel de succès que sur la très grande capacité de la gauche à perdre des matchs gagnés d'avance. Le piège des primaires Seul François Mitterrand réussit à transformer le PS en parti de gouvernement. Il est vrai que la formation socialiste se sent plus à l'aise dans les élections locales et cultive parfois une «culture de parti d'opposition». Face à un Nicolas Sarkozy qui incarnait, pour ses supporters, l'image même de la détermination, du dynamisme et de la conviction, l'échec relatif de Ségolène Royale plongea la formation socialiste dans son péché mignon, l'affrontement des ego, le choc des ambitions, le tout sur fond d'absence d'idées et de complots de basse-cour. Le pire fut atteint lorsqu'un des candidats à la magistrature suprême, Arnaud Montebourg, inventa la plus belle des machines-à-perdre : les «élections primaires». Il proposa en effet à son parti de faire désigner le meilleur candidat qui serait présenté par le PS, par les électeurs eux-mêmes ! L'innovation fut adoptée dans l'enthousiasme par les uns, résignation par d'autres. La procédure a toutes les apparences de la démocratie. Tout électeur, de gauche comme de droite (!) pourra librement choisir, en octobre prochain, le meilleur candidat du parti socialiste. Ce procédé est inspiré de la tradition américaine, où les militants des deux grandes formations, le parti républicain et le parti démocrate, désignent le champion de chaque parti, lors de « primaires », dans des conventions organisées dans chaque Etat des USA. L'importation des primaires en France ne va pas sans poser quelques problèmes. On est tout d'abord très loin de la doctrine gaulliste pour qui l'élection présidentielle est avant tout «la rencontre d'un homme et d'un peuple». Au-delà de cette grandiloquence un peu pompière (rappelons également que le politicien Charles de Gaulle renversa la IVème République avec la pression de l'armée coloniale), le système républicain français est bien basé sur un «contrat», certes théorique, entre le président élu et tous les Français. Ce que Nicolas Sarkozy semble avoir oublié, en promettant à tous par exemple, « de gagner plus en travaillant plus ». Plus sérieusement, les primaires socialistes risquent de sanctifier le poids déjà trop grand des sondages dans la vie politique. La popularité volatile n'a guère de sens hors d'un scrutin réel où s'affrontent des vrais postulants à la charge. À cette aune, Mitterrand n'aurait jamais été candidat, les sondages de l'époque donnant Michel Rocard largement favori de mes concitoyens ! Enfin, qui ira vraiment voter dans ce scrutin ouvert à tous ? Avec l'abstention actuelle, on peut douter d'une mobilisation générale des citoyens. Dans les faits, les grosses fédérations du Parti socialiste joueront de tout leur poids, avec l'inconnue supplémentaire de possibles et nombreux votes provenant de militants de droite DSK se fait trop attendre Six candidats sont potentiellement en lice à ce jour. Deux quadras, Arnaud Montebourg et Manuel Valls, ne sont pas vraiment dans la course. Ségolène Royale qui, auréolée de sa 1ère candidature, estimait peut-être que la seconde était naturelle, peine à retrouver la confiance d'un parti dont elle estime souvent qu'elle n'a pas à obéir aux règles. L'essentiel de la compétition se déroule entre un champion et deux challengers. Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre de l'Economie de Lionel Jospin a, après la victoire de Sarkozy, vite compris que la scène politique française allait être bouchée pendant quelques années. Il a obtenu (avec l'appui de Nicolas, content d'éloigner un opposant de talent), le poste prestigieux de directeur du FMI, basé à Washington. La crise de 2008 et le rôle actif de son institution pour le sauvetage en urgence de l'économie mondiale, a contribué à renforcer l'aura internationale de DSK. Régulièrement, le sondage le plaçait comme meilleur candidat possible du Parti socialiste. Maintenant les mêmes enquêtes le placent nettement devant Nicolas Sarkozy, au second tour de l'élection. Mais sera-t-il candidat ? DSK n'a toujours pas donné sa réponse. Plusieurs données expliquent ce retard. Dominique Strauss-Kahn ne veut pas trop hâtivement interrompre son confortable mandat à la tête du FMI. A titre personnel, il ne semble guère enthousiaste à se prêter aux contraintes internes des modes de désignation du PS. Enfin, il peut estimer, sur le plan tactique, que garder le mystère sur son choix définitif, le maintient au centre du jeu médiatique. Sur le plan politique, son rôle au FMI l'a consacré comme héraut de la globalisation libérale et apôtre des politiques de rigueur. Pour un candidat « socialiste » et face à une opinion française très remontée contre la mondialisation et ses effets néfastes sur l'emploi et le niveau de vie, les risques de «grand écart» sont bien réels. Martine Aubry s'était habilement placée à la tête du PS en prenant la succession de François Hollande comme 1ère Secrétaire de cette formation. Elle y a comme son prédécesseur, remporté toutes les élections intermédiaires (régionales, municipales, cantonales, récemment). Elle a occupé des postes ministériels de 1er plan et elle est maire de Lille, la capitale du Nord. On lui prête parfois un caractère un peu ombrageux et autoritaire. Il est vrai qu'elle a parfois fort à faire avec les maires socialistes d'autres grandes villes, dotés eux aussi de fortes personnalités et de vrais appareils, qu'il s'agisse de Bertrand Delanoë à Paris ou de Gérard Colomb à Lyon. Elle doit aussi composer avec les patrons des grosses fédérations du PS et les innombrables courants ou sensibilités qui traversent l'appareil socialiste. Ainsi, elle a réussi à rallier la gauche du parti, dirigée par Benoît Hamon. «L'appel de Tulle» Martine Aubry a présenté cette semaine le «programme du PS », 30 propositions pour la mandature à venir, en mettant l'accent sur la jeunesse, une réforme fiscale, le plafonnement des salaires des grands patrons, la sécurité et le tournant du nucléaire après la catastrophe japonaise. Mais elle ne décolle pas dans les sondages et semble aujourd'hui convaincue de la nécessité d'un «ticket» avec DSK. Cette alliance aura quelques difficultés à concilier les exigences de l'aile gauche du parti et les options très libérales du patron du FMI. Elle a longtemps occupé la seconde place dans le choix des Français comme candidate socialiste, derrière Strauss-Kahn, elle vient d'être sérieusement devancée par François Hollande. Ce dernier a eu une carrière politique paradoxale. Il fut sous François Mitterrand, l'un des plus brillants «lanceurs d'idées» du Parti socialiste. Mais la grande figure tutélaire de la gauche ne lui confia jamais un poste ministériel, préférant donner ses premières responsabilités à sa compagne de l'époque, Ségolène Royale. Il fut placé par Lionel Jospin à la tête du PS et y remporta toutes élections sauf la principale, les présidentielles où le candidat Jospin échoua de façon humiliante. S'il remporte toutes les épreuves qui l'attendent, il serait le 1er président de la Vème République à être élu sans jamais avoir été ministre. Seule grande constante dans cette carrière un peu hors norme, sa solide implantation en Corrèze. En 1981, par bravade, le jeune Hollande était venu défier Jacques Chirac sur ses terres. L'ancien président était en effet un élu corrézien de longue date et le resta même quand il était Maire de Paris. Depuis, François Hollande est solidement implanté dans ce département où il vient d'être réélu président du Conseil général. Il avait fait de cette victoire corrézienne, pas tout à fait gagnée d'avance, la condition de sa candidature à la présidence de la République. Il en fit d'ailleurs la déclaration solennelle, en fin de semaine dernière, de Tulle, la préfecture de ce département. Une manière d'oindre cette candidature par une victoire démocratique dans un scrutin populaire. D'un naturel facétieux, jovial et bon vivant, il entretient d'excellentes relations avec les médias depuis deux décennies. Mais il se prépare à cette candidature avec beaucoup de soin et de détermination. Il a perdu des kilos. Il a surtout densifié ses idées. Car c'est le domaine de prédilection de François Hollande. Martine Aubry, en présentant le programme du PS, a largement puisé dans les livres et thèses de François Hollande. Il connaît parfaitement les rouages du PS où beaucoup d'élus de base l'apprécient. Il parcourt la France depuis vingt ans et sa proximité des Français n'est pas de fraîche date. Présentée comme une faiblesse, son absence de responsabilités ministérielles lui donnera peut-être une indépendance bienvenue face à la toute-puissance de l'Administration française qui en réalité dirige bien plus le pays que les équipes gouvernementales qui se succèdent. Le convivial et déterminé Hollande a donc toutes ses chances face au washingtonien et hésitant DSK.