Ce mardi, s'ouvrira au tribunal criminel de Sidi Bel-Abbès un procès autant complexe que délicat. Ce n'est pas tant le calibre du réseau transfrontalier de trafic de drogue au cœur de cette affaire qui lui procure autant d'intérêt médiatique, que le contraste au banc des accusés : des gros bonnets de kif et des officiers de police comparaîtront côte à côte. Avec comme trait d'union, selon l'accusation, des présumées accointances et relations d'intérêt opaques. A la tête des cadres de la police mis en cause, l'ex-divisionnaire de la wilaya de Tlemcen (2002-2005), S. Mohamed. Ce commissaire principal de 59 ans est mis en examen pour «complicité de trafic de drogue par organisation criminelle». Une autre charge pèse sur lui: l'article 180 du code pénal. Traduction: il aurait «recelé une personne sachant qu'elle avait commis un crime ou qu'elle était recherchée en raison de ce fait par la justice ou sciemment soustrait ce criminel à l'arrestation ou aux recherches». A l'origine, M.S. et ses collaborateurs (au nombre de huit : l'ex-chef de sûreté de daïra de Maghnia, un autre commissaire, un inspecteur principal et cinq officiers) étaient inculpés de « dissimulation de traces de crime et complicité», avant que la chambre d'accusation ne requalifie les faits reprochés au divisionnaire. Au poids du kif saisi dans le cadre de cette affaire, près de 29 quintaux, s'ajoute le poids de cinq longues années de procédures policières et judiciaires qui ont donné de l'épaisseur à ce dossier. Mais surtout le poids du «complot ourdi» et du «règlement de comptes», version mise en avant par l'ex-divisionnaire incarcéré actuellement dans la prison de Sidi Bel-Abbès. Sur le plan du droit, le traitement de ce dossier est entaché d'une «lourde et grossière bourde» relevée par la Cour suprême, qui a d'ailleurs épinglé les magistrats concernés pour avoir transgressé la règle sacro-sainte du «privilège de juridiction», en vertu de laquelle le cas M.S., en sa qualité de haut officier public, devait être instruit par un juge choisi hors de la circonscription judiciaire où cet inculpé exerçait ses fonctions. Or, l'affaire a été traitée au niveau du tribunal de Remchi (cour de Tlemcen), «ce qui entraîne de fait la nullité de l'arrêt de la chambre d'accusation du 24 août 2008 dans sa globalité, et pour l'ensemble des accusés, et ce eu égard à l'unité de la poursuite, le caractère indissociable et indivisible de ces faits liés», note la Cour suprême dans son arrêt du 10 novembre 2010. La genèse de l'affaire remonte au 19 novembre 2005. Ce jour-là, à 9h15, un officier du commissariat de daïra de Maghnia reçoit un appel téléphonique faisant état de l'existence d'une voiture remplie de kif près du domicile d'un certain B.B., connu sous le sobriquet de «Ould El-Anzi» (le cabri), situé au fin fond de Maghnia. Munis d'un mandat de perquisition, des policiers investissent les lieux. Dans une Renault 25 rouge, garée près de la maison de B.B. et non fermée à clé, ils trouvent 275 kilos de kif dans le coffre. Sous le frein à main, un extrait de naissance et une copie de la carte d'identité de B.B. étaient posés à portée de vue. Ce dernier est arrêté. Ni la R 25, ni le kif qui était à l'intérieur ne lui appartiennent, selon lui. Il nie tout et crie au complot. Or, des indices convergents, dont des témoignages de voisins ayant vu la veille deux hommes planter le décor de la R 25 bourrée de kif, seront enregistrés à la décharge d'alias «Cabri», qui ne devra répondre finalement que de la détention illégale d'un fusil de chasse saisi chez-lui. De qui provenait l'appel ? L'officier qui reçoit le coup de fil mentionne sur le registre des appels un numéro commençant par 071 et le nom de B.F. (faux nom). Mais il biffe ensuite au stylo ces indications. Selon ses dires, il l'a fait sur ordre et sous la pression de ses supérieurs, après que ceux-ci eurent identifié le titulaire de cette ligne téléphonique mobile, H.N. Il s'agit, selon l'accusation, d'un narcotrafiquant international de drogue qui était activement recherché par Interpol. Pour l'accusation, il y a de forts soupçons que c'est lui qui, depuis sa cellule de prison, a tramé le coup de la R 25 pour régler son compte à B.B. Cette piste est confortée par la découverte, le 24 décembre 2005, de 25,4 quintaux de kif dissimulés dans l'ossature métallique d'une remorque de camion parquée dans un parking à Ghazaouet, véhicule appartenant, selon les investigations, à H.N. L'un des huit compartiments où était caché le kif était rempli de terre. Son volume coïncidait avec celui des 275 kilos de la R 25 rouge. Un échantillon de cette terre sera expertisé et comparé avec la terre de la propriété familiale, une ferme à Maghnia, de H.N. L'expertise, récusée par la défense, met en évidence des «similitudes». L'expertise en écriture, localement établie, visant à décrypter le numéro de téléphone volontairement caviardé, elle aussi est battue en brèche par la défense, qui s'appuie sur les conclusions d'une double contre-expertise faite au Canada et en France : «L'expert (algérien) a travaillé à partir d'une image scannée à l'aide de logiciel de traitement d'image; en aucun cas une interprétation n'est possible à partir de ce type d'appareil. Seuls des appareils d'analyse dûment détaillés, avec une méthode descriptive, permettent une interprétation fiable de résultat». Au total, 22 personnes, dont 9 ex-policiers, sont mises en cause dans cette affaire.