Le coup d'Etat le «plus drôle» de l'histoire. Certains, en Tunisie, ont choisi de traiter par de l'humour teinté de mépris les affirmations de l'ancien ministre de l'Intérieur, Farhat Rajhi, sur un plan présumé de coup d'Etat militaire en cas de victoire des islamistes d'Ennahda aux prochaines élections. Il faut dire que M. Rajhi, malgré sa réputation «d'homme propre», a prêté le flanc à ce traitement moqueur, en passant d'une «confirmation» de ses propos à une rétractation pure et simple. Avec, comme il se doit, une mise en cause des journalistes qui l'auraient piégé. L'argumentaire est tellement faible que certains en arrivent à croire à une rétractation «sous pression». Pourtant, il semble bien que M. Rajhi n'avait pas d'«informations» sur un présumé plan de coup d'Etat anti-islamiste qui serait «coordonné» avec Alger. M. Rajhi se livre en réalité à des spéculations qui ont cours en Tunisie et dans les chancelleries occidentales, où l'on attend de connaître le score des islamistes avec beaucoup d'appréhension. Une victoire trop franche des islamistes mettrait un bémol aux lectures qui présentent les révolutions arabes comme étant des mouvements post-islamistes. Et les spéculations vont bon train d'ailleurs sur le score présumé du mouvement islamiste. La sortie de Rajhi sur un coup d'Etat militaire, pour excessive qu'elle soit, renseigne d'abord sur le climat qui règne dans la Tunisie en transition et en proie à une réelle crise sociale. La tentation est grande chez certains «républicains» et «laïcs» tunisiens de faire de l'exemple algérien une référence, alors qu'il s'agit justement d'éviter de se retrouver dans cette situation. Le scénario algérien a été trop coûteux pour qu'il puisse servir de modèle : même les Algériens, de tout bord, l'admettent. Les islamistes d'Ennahda semblent, eux, avoir essayé de tirer le maximum d'enseignement de l'expérience catastrophique de l'ex-FIS. Ainsi, ils ont choisi de ne pas tenir compte des affirmations sur l'existence d'un complot à leur encontre et ont affirmé leur confiance dans l'armée. En outre, et cela est primordial, le conseil de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution a adopté le scrutin sur les listes à la proportionnelle, avec le plus fort reste, comme mode de scrutin pour les élections. On ne refait pas l'histoire avec des «si», mais un scrutin proportionnel aurait permis, en 91, d'éviter une amplification de la victoire du FIS qui, avec 35% des voix, s'est retrouvé, dès le premier tour, majoritaire à l'assemblée. Un mode de scrutin proportionnel, décrié parfois pour «l'in- gouvernabilité» qu'il occasionne, permet une représentation plus fidèle des courants d'opinions et empêche des situations d'hégémonie. Cette question, fondamentale, les Tunisiens l'ont tranchée avec sagesse et cela devrait leur éviter la grande polarisation qui a marqué la situation algérienne. L'argument que la proportionnelle crée des problèmes de gouvernabilité est fondé sur une hypothèse pessimiste. Dans une approche plus positive, on peut penser qu'elle contraint à la concertation, à la négociation et au consensus qui sont, on le sait, bien plus préférables à des situations de crise pouvant déboucher sur la violence. La référence à une «coordination» entre Alger et Tunis pour un présumé coup d'Etat est très légère. Mais si les Tunisiens cherchent à trouver des enseignements dans le cas algérien, ils ont beaucoup à prendre.