Le départ du colonel Kadhafi est toujours d'actualité au sein de la coalition internationale qui a donné mandat à l'OTAN de bombarder tous les sites des forces armées libyennes. Et, alors que le conflit s'enlise après près de cent jours de combat au sol entre pro et anti-Kadhafi embrigadés au sein d'une opposition soutenue par des bombardements aériens de l'OTAN, une nouvelle carte a été sortie du chapeau des pays qui veulent chasser du pouvoir le «Guide» de la révolution. Hier lundi, et comme prévu, un mandat d'arrêt international a été lancé contre Mouammar Kadhafi pour «crimes contre l'humanité». C'était prévisible, après les déclarations au mois de mai dernier du procureur général de la Cour Pénale Internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo. Officiellement, la CPI a délivré un mandat d'arrêt international pour crimes contre l'humanité contre le colonel Mouammar Kadhafi, qui devient de facto et comme par hasard le second chef d'Etat africain en poste poursuivi par cette Cour, après le président du Soudan, Omar el-Béchir. «Il y a des motifs raisonnables de croire que (...) Mouammar Kadhafi, en coordination avec son cercle rapproché, a conçu et orchestré un plan destiné à réprimer et à décourager la population qui manifestait contre le régime et ceux considérés comme dissidents au régime», a déclaré la juge Sanji Mmasenono Monageng, lors d'une audience publique à La Haye. Les juges ont également lancé des mandats d'arrêt pour crimes contre l'humanité contre le fils du colonel Kadhafi, Seif Al-Islam, et le chef des services de renseignements libyens, Abdallah Al-Senoussi, comme l'avait demandé le procureur Luis Moreno-Ocampo dans une requête déposée le 16 mai. «Pour éviter qu'ils ne continuent de dissimuler les crimes qui continuent d'être commis et qu'ils n'en commettent de nouveaux, ils doivent être arrêtés. C'est là la seule manière de protéger les civils en Libye», a estimé le procureur de la CPI en réaction à l'annonce du mandat d'arrêt délivré contre un chef d'Etat encore en poste, quels que soient les reproches que lui font la communauté internationale, et son peuple. Pour les juges de la CPI, « il y a des motifs raisonnables de croire que les trois hommes sont responsables, «en tant qu'auteurs indirects», de meurtres et persécutions, constitutifs de crimes contre l'humanité, commis par les forces de sécurité libyennes. Les juges de la CPI estiment également que «Mouammar Kadhafi, 69 ans, et son fils Saif Al-Islam, 39 ans, pourraient être responsables de crimes commis par les forces de sécurité libyennes notamment à Tripoli, Benghazi et Misrata, «du 15 février au moins jusqu'au 28 février». Quant au patron des services de renseignements libyens, Abdallah Al-Senoussi, 62 ans, pourrait quant à lui être responsable des crimes commis par les forces de sécurité libyennes à Benghazi «du 15 février au moins jusqu'au 20 février», selon la CPI. Sous son commandement, les forces de sécurité ont «infligé des actes inhumains à la population civile, la privant gravement de ses droits fondamentaux», selon la même source. Pour Moreno-Ocampo, la crise libyenne a fait des milliers de morts, alors que l'ONU avait annoncé la fuite à l'étranger de près de 650.000 Libyens et le déplacement à l'intérieur du pays de 243.000 autres. Pour autant, la décision de la CPI est très lourde, et reflète, même a posteriori, la position plus que partiale de cette Cour pénale internationale qui n'a, pour le moment réagi que contre des «criminels de guerre» en fuite, seuls et abandonnés. La longue cavale du criminel serbe Ratko Mladic est une preuve à charge contre la passivité de la CPI qui ne tire, selon des observateurs, que «sur des fantômes», alors que des crimes contre l'humanité se déroulent chaque jour en Palestine occupée sans provoquer ne serait-ce que la moindre réaction de cette Cour, ou de ses commanditaires. Ce qui s'est passé à Ghaza il y a deux ans est également une autre preuve à charge contre la CPI, qui n'a à aucun moment tenté de poursuivre pénalement, sinon seulement à les dénoncer, les responsables israéliens du massacre de centaines de Ghazaouis, en direct, sur toutes les télévisions du monde. Même si le pouvoir en Libye est loin d'être un modèle de démocratie, et que l'explosion sociale a conduit à une crise armée qui se dirige tout droit vers une impasse politique, il y a cependant beaucoup de raisons de s'interroger sur les motivations politiques et militaires de l'intervention de la CPI dans un conflit qui n'a pas encore connu son épilogue. L'annonce des mandats d'arrêt par ailleurs intervient au moment où la campagne de bombardements des pays membres de l'Otan pour aider l'opposition libyenne dure depuis cent jours et où le conflit s'enlise, le colonel Kadhafi étant toujours au pouvoir. Le ministre britannique des Affaires étrangères William Hague a pressé lundi l'entourage du colonel Mouammar Kadhafi à «le lâcher» ou «à rendre des comptes» alors que le ministère italien des Affaires étrangères exprimait sa «satisfaction». «Le mandat d'arrêt d'aujourd'hui à l'encontre d'un chef d'Etat qui se croit au-dessus des lois envoie un message déstabilisateur aux dictateurs et offre aux victimes une chance de justice», a de son côté commenté Richard Dicker, de l'ONG Human Rights Watch, dans un communiqué. La Cour a compétence en Libye en vertu de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 26 février, ce que contestent les autorités libyennes qui affirment ne pas être «concernées» par ses décisions, n'ayant pas ratifié le statut de Rome, son traité fondateur.