Vécu hier soir sur une plage à Mostaganem : debout sur le sable, face à la mer nocturne, le chroniqueur sera violemment interpellé par un jeune: «Vous ne pouvez pas rester là si vous ne louez pas une table et des chaises». La discussion dégénère vite vers le congrès de la Soummam. La plage est publique, non ? «Non, je l'ai achetée à la mairie et j'ai acheté le sable et la vue». C'est une concession simplement. «Non, on m'a vendu toute la surface pour quelques mois». Ailleurs, c'était la même chose : la plage était privatisée. On ne pouvait même pas y regarder la mer, debout sur la plante de ses propres pieds. Conclusion ? Le jeune homme avait «raison» dans le cadre du bien-vacant global. On a pris les caves, les villas coloniales, les terres, ensuite les trottoirs et donc les plages. La terre appartient au plus fort. La raison profonde est que le Pouvoir craint aujourd'hui la grosse émeute au point d'accepter l'illégalité comme une réalité. C'est parce qu'il est illégitime qu'il se retrouve dans le compromis et la compromission. Parce qu'illégitime, le Pouvoir accepte, concède et cède de plus en plus sur le périmètre de l'Etat. Jamais de mémoire de client, il n'y a eu autant de vendeurs sur le trottoir dans ce pays que cette année. Ailleurs, le printemps arabe donne donc des révolutions et des promesses de démocratie, ici, il multiplie le commerce informel et les vols de terre, de logements, d'espaces publics. C'est parce que lui aussi illégitime que le Pouvoir est obligé d'accepter l'illégitimité d'un voleur de sable, d'un jeune qui privatise une plage publique et d'un autre qui squatte un espace vert. Le jeune aujourd'hui sait que le Pouvoir a volé quelque chose et donc réagit de même, face à lui. Que se passera-t-il si le Pouvoir essaye d'imposer les règles de l'Etat ? Il y aura émeutes, casse et menace de révolution totale. Cette grosse majorité ira rejoindre l'opposition qui manque de troupe et l'équation basculera. Si le Pouvoir frappe, tout le monde le condamnera aussi. «Pourquoi est-ce licite de voler un Etat, une histoire nationale, l'argent de tous et avoir le droit de frapper celui qui vole une poignée de sable ou un morceau de trottoirs ?», conclura l'opinion. «Dans quelques années, ces jeunes nés du faux printemps arabe seront l'armée d'une véritable maffia russe», dira un ami. Et c'est vrai. La clé donc ? La légitimité. A Londres, des centaines d'émeutiers sont en prison suite à des émeutes que l'opinion a condamnées avec vigueur et émotion. Le «Pouvoir local», le gouvernement de David Cameroun a réagi avec rigueur et force : des centaines sont en prison mais le fait n'a pas conduit à chasser le Premier ministre ni à critiquer outre mesure son action. Elle est légitime et le pouvoir de David Cameroun est légitime. C'est cette légitimité qui lui donne de la force. Ce n'est pas le cas d'Ouyahia et compagnie. Ces gens-là sont illégitimes et tout ce qu'ils peuvent oser faire pour redresser la situation par la force est frappé de suspicion et condamné comme abus. Autre exemple ? Lu hier sur le Quotidien d'Oran, avec le rire qu'il faut : le racket fait rage sur les aires de stationnement, les trottoirs aux Andalouses, station balnéaire d'Oran, pendant qu'à Oran, la direction du contrôle des prix annonce le contrôle de plus de mille commerçants ce Ramadhan. Les deux papiers parlaient du même pays. De quoi faire rire donc. L'Etat est un rite pendant que le Pouvoir est une question de force. La légitimité. C'est la grosse différence entre la gouvernance par Cameroun et la gouvernance par Ouyahia. Kadhafi, le Rat de Tripoli a beau crier que c'est bien fait pour les Anglais et appeler au départ de David Cameroun, la différence est là : l'un est élu, l'autre s'est imposé depuis 43 ans. L'un est légitime, l'autre ne l'est pas. Le «plagiste» de Mostaganem le savait d'instinct. Il est plus proche du Pouvoir que les autres.