Le conflit en Libye a impacté l'économie tunisienne, qui espère maintenant tirer profit du nouveau paysage politique. L'économie tunisienne qui a assumé un lourd fardeau en accueillant 900.000 réfugiés libyens peut souffler. Les opérateurs tunisiens entendent être présents sur le gros marché libyen qui s'annonce. Le drapeau rouge, noir et vert flotte sur le toit de la voiture aux vitres couvertes d'autocollants. Les couleurs de la «Libye libre» ont aussi dissimulé la plaque d'immatriculation, à l'arrière du véhicule. Des artifices qui distinguent la plupart des voitures libyennes à Ennasr, une banlieue huppée de Tunis. Elles sont pourtant moins nombreuses que les mois passés, quand le quartier accueillait des milliers de riches libyens venus trouver refuge chez leur voisin. «Beaucoup de Libyens sont rentrés chez eux depuis la chute de Tripoli», indique Imène Daoud, qui travaille dans une agence immobilière à Ennasr. Elle estime que les Libyens représentent aujourd'hui «moins de 20%» de sa clientèle, contre «40 à 45%» cet été. Un constat partagé par Kaïs Sahli. Son étal, sur le bord d'une avenue commerçante d'Ennasr, est tout entier aux couleurs de la «Libye libre». Voilà deux mois qu'il vend T-shirts, casquettes, porte-clés et drapeaux aux Libyens, mais depuis une dizaine de jours, il note «une nette diminution du chiffre d'affaires». Le jeune homme se laisse «une semaine» pour épuiser son stock et se recycler dans la vente d'autres articles. Une décision sage, à en juger par les projets des Libyens encore présents à Ennasr. Noura Awidat, 25 ans, est arrivée en Tunisie en mai. Sa famille a loué une maison à Rades, dans la banlieue sud de Tunis, et elle vient régulièrement passer la journée à Ennasr. «Nous allons rentrer à Tripoli dans quelques jours, pour la rentrée universitaire», dit-elle. Pour Lachter Senoussi et Walid Essaker, le retour devrait se faire «dans quelques semaines». Les deux hommes logent dans un hôtel chic de Tunis depuis leur arrivée, le 1er mars, pour «veiller sur des proches hospitalisés». Un lourd fardeau Pour les commerçants et les hôteliers tunisiens, la présence de Libyens aisés a partiellement rattrapé une saison touristique durement frappée par la révolution de janvier et la proximité du conflit libyen. Mais la perspective d'une nouvelle Libye libère aussi l'économie tunisienne d'un lourd fardeau: beaucoup des 900 000 Libyens qui ont franchi la frontière au cours du conflit étaient hébergés dans des camps de réfugiés ou chez des particuliers. La Tunisie a aussi dû faire face au retour de ses propres ressortissants. Les quelque 60 000 travailleurs tunisiens rentrés de Libye depuis février sont venus grossir les chiffres du chômage entre 19 et 20% actuellement, selon les statistiques officielles. Le gouvernement tunisien a débloqué 15 millions de dinars (7,5 millions d'euros) pour verser à certains d'entre eux une aide d'urgence 400 dinars (200 euros) pour les célibataires et 600 dinars (300 euros) pour les chefs de famille. Habib Ben Mansour, directeur général adjoint de l'Office des Tunisiens de l'étranger (OTE), n'observe «pas encore de retour massif des travailleurs tunisiens vers la Libye». «Ils attendent que la situation se stabilise», dit-il. Mais l'homme a bon espoir «que la Libye fera appel aux compétences tunisiennes pour relancer l'économie». Un souhait partagé par Abdelhamid Triki, ministre tunisien de la Planification et de la Coopération internationale, qui a affirmé le 25 août dernier que la reconstruction de la Libye pourrait offrir des opportunités d'emploi à quelque 200 000 ouvriers tunisiens environ 100 000 Tunisiens travaillaient en Libye avant le conflit. Des opportunités importantes La Tunisie n'entend pas passer à côté des opportunités qui se profilent. Au premier rang des intéressés: les quelque 1200 entreprises tunisiennes qui exportent vers la Libye, mais aussi et surtout les investisseurs. Selon Pierre Lellouche, le secrétaire d'Etat français chargé du Commerce extérieur, les besoins en investissements de la Libye s'élèvent d'ici à 2020 à près de 150 milliards d'euros. Pour le groupe tunisien Poulina, une holding de différentes activités, «la Libye est un enjeu stratégique», explique Maher Kallel, membre du conseil d'administration du groupe, chargé du développement à l'international. Le groupe, qui a investi 60 à 70 millions d'euros en Libye au cours des deux dernières années, compte une dizaine d'entreprises dans le pays. Quand la révolte a éclaté, en février, il a affrété deux avions pour rapatrier les salariés tunisiens. Tous ses sites sont encore fermés, mais n'auraient pas subi de dégâts majeurs. Poulina attend désormais «que la situation se stabilise» pour redémarrer ses activités sur le territoire libyen. «Il y a des opportunités très importantes», dit Maher Kallel, qui voit le marché libyen comme «une extension naturelle du marché tunisien». Le groupe compte en particulier développer nos activités de production de matériaux de construction. «La Libye manquait déjà de logements avant la guerre, dit-il. La reconstruction va exacerber les besoins en infrastructures du pays». Abdelaziz Darghouth, entrepreneur dans le secteur du textile et du linge de maison, n'est pas encore présent en Libye mais a «commencé à prospecter». Il prévoit d'aller à Tripoli dans une quinzaine de jours «pour rencontrer de possibles partenaires». «Je travaille sur plusieurs projets qui j'espère aboutiront bientôt». Il hésite, puis avance: «dès 2012, pourquoi pas».